Aurore Bergé (Ministre chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations) : "Nous libérer de la violence"

7 mars 2024
Les femmes ont toujours parlé, c’est la société qui ne les écoutait pas. Parce que cette parole est difficile à entendre. C’est reconnaître ce qui dysfonctionne au cœur même de ce qu’on admire. C’est accepter que ce qui nous a fait rêver à l’écran dissimulait parfois des pratiques inadmissibles.
Aurore Bergé

Quand on m’a proposé de prendre la plume pour écrire dans ce numéro spécial d’Écran Total, je me suis demandée comment commencer alors que le cinéma français connaît de tels bouleversements. Comment trouver les mots justes pour s’adresser à une profession qui se regarde et s’interroge ? 

Ces bouleversements sont heureux. Des femmes s’expriment et brisent un silence qui les a, si longtemps, emprisonnées, murées alors qu’on ne percevait d’elles que l’image capturée par la pellicule. Une image longtemps façonnée par des hommes. 

Dans le public à la cérémonie des César, c’est un silence absolu et respectueux qui a accueilli la parole de Judith Godrèche. Une parole forte et digne. Une parole qui est venue nous interpeller, nous obliger à un examen de conscience. Parce qu’en vérité, les femmes ont toujours parlé, c’est la société qui ne les écoutait pas. Parce que cette parole est difficile à entendre. C’est reconnaître ce qui dysfonctionne au cœur même de ce qu’on admire. C’est accepter que ce qui nous a fait rêver à l’écran dissimulait parfois des pratiques inadmissibles. 

Sur nos sièges de spectateurs, on lève nos yeux pour regarder l’écran. On y voit la beauté et la douleur. On y voit la souffrance et la compassion. On y voit ce que notre société renferme de plus généreux et humaniste et on y voit ce qu’elle sait créer de pire. On y voit en fait notre société. Le cinéma est le reflet de ce que nous sommes. Il nous met aujourd’hui face à ce que nous avons été et que nous refusons d’être. 

Ce à quoi nous n’étions pas prêts, c’est que ces femmes vivent parfois dans la vie la violence qu’elles interprétaient à l’écran. Ce à quoi nous n’étions pas prêts, c’est que le jeu n’en soit pas forcément un, que la violence factice et représentée soit une violence réelle et subie. Nous n’étions pas prêts à ce que derrière le sublime de certaines œuvres se cache les sévices les plus insupportables.

Sommes-nous passés collectivement à côté ? Et surtout sommes nous en train de nous réveiller ? Enfin. Nous vivons aujourd’hui un MeToo français qui nous ébranle autant qu’il nous oblige. Un Metoo français qui doit collectivement nous libérer de la violence, des représentations stéréotypées qui enferment les femmes autant que les hommes, les petites filles autant que les petits garçons.

Je viens de signer une mission pour que des règles existent. Des règles claires. Partout où des rapports de domination s’installent, partout où des hiérarchies peuvent écraser, dans le monde de la culture, du sport, de la santé, de l’enseignement supérieur, de la recherche, de la fonction publique. Nous devons y installer des contre-pouvoirs, nous devons garantir des régulations. En tant que Ministre, j’y veillerai scrupuleusement. 

Car ce n’est pas de défiance dont il s’agit mais d’une confiance retrouvée permettant de nous émerveiller, de nous émouvoir, de nous évader, de nous mettre en colère sans craindre ce qui a pu se produire pendant le tournage. Il s’agit de garantir l’existence d’une frontière claire entre la réalité et la fiction. Pour que les films ne soient jamais, à bas bruit, le prétexte de l’assouvissement de désirs malsains. Une confiance des actrices, des techniciennes, de l’industrie et du public, pour reconstruire les bases d’un cinéma qui rassemble.

Ce n’est sans doute pas un hasard si ces bouleversements se produisent au moment même où les femmes prennent un pouvoir déterminant dans l’industrie cinématographique. Elles sont parmi les plus grandes productrices, elles dirigent les grands festivals et en remportent les prix les plus prestigieux. Ducornau, Triet, Diwan et tant d’autres après Jaoui ou Varda. Ces noms résonnent aujourd’hui comme étant ceux à l’avant-garde du cinéma français. Celui qui gagne le respect de la critique, l’estime des spectateurs et fait la fierté de notre pays. 

Alors soyons au rendez-vous de ces bouleversements. De ce courage, de ces voix qui s’élèvent, du talent, de la création, de ce que ces femmes mettent d’elles-mêmes dans les filles qu’elles produisent, tournent ou dans lesquels elles s’exposent en jouant.

Soyons à la hauteur d’un moment qui n’est pas un combat des uns contre les autres, qui ne peut pas être une victoire des uns sur les autres, mais qui est le combat du respect et la victoire de l’égalité.

Parce que plus que jamais dans un moment où notre société a soif de rassemblement, où notre pays a besoin d’unité, nous avons besoin de cinéma !