Simone Harari Baulieu (Productrice, fondatrice d’Effervescence) : Les Femmes et la télévision

8 mars 2024
Construire des environnements vraiment mixtes, qui soient une chance de diversifier les approches, les thématiques, les histoires, les générations et donc d’enrichir l’offre de contenus proposés à une société par ailleurs composée (faut-il le rappeler ?) à plus de 50% de femmes.
Simone Harari-Beaulieu

Septembre 1985. Je suis envahie à la fois par l’enthousiasme et le stress : Antenne 2 s’apprête à diffuser les premiers épisodes de Maguy. Une sitcom particulièrement audacieuse en France à l’époque, par son format, mais aussi par son sujet : son principal personnage est une femme (certes bourgeoise), deux fois divorcée, encore mariée parce que toujours amoureuse, une quinqua pétillante et pleine de vie ! Ce qui semble banal de nos jours était alors tout à fait novateur et perçu comme tel.

Je mesure le chemin parcouru. A l’image de la société, notre environnement professionnel a profondément changé. Nous étions essentiellement entourés d’hommes et c’est logiquement leur regard qui généralement s’imposait. La mise à l’antenne de la première série policière avec une héroïne (Une femme d’honneur) avait été considérée comme un vrai risque d’audience !

Quelle évolution depuis, y compris aux plus hautes sphères de décision ! Jusqu’en 1997, une seule femme avait été ministre de la Culture. Depuis, 9 ministres de la Culture sur 12 ont été des femmes ! Aujourd’hui, les deux principales entreprises de l’audiovisuel public (et aucune grande chaîne privée) sont présidées par des femmes, Delphine Ernotte, Marie-Christine Saragosse et Sibyl Veil, attachées à promouvoir d’autres femmes à tous les échelons. Dans ce nouveau monde la responsabilité du producteur quant à la prévention des violences sexistes et sexuelles, fait l’objet d’une formation obligatoire, soulignée par la conditionnalité des aides du CNC. 

Je m’en réjouis, moi qui n’ai jamais abordé les relations entre les femmes et les hommes sous l’angle de la concurrence ou pire, de la guerre des sexes. Je préfère parier sur la complémentarité et tout ce qu’elle apporte au quotidien. C’est vrai en politique comme en entreprise. C’est particulièrement vrai en matière de création. Il ne s’agit pas simplement de composer des équipes avec le souci arithmétique d’une parfaite mais potentiellement artificielle parité. Il s’agit de construire des environnements vraiment mixtes, qui soient une chance de diversifier les approches, les thématiques, les histoires, les générations et donc d’enrichir l’offre de contenus proposés à une société par ailleurs composée (faut-il le rappeler ?) à plus de 50% de femmes.

Proposer un nouveau regard sur nos grandes pages d’histoire collective

Cette approche, nous en avons fait une force chez Effervescence. Loin de nous l’idée de remplacer une démarche trop longtemps exclusivement masculine par une autre tout aussi déséquilibrée. Encore que… nous avons produit Zérostérone, une série qui imagine un futur où il ne resterait que des femmes sur terre ! 

Notre souci est avant tout de donner toute leur place aux talents avec lesquels nous travaillons, comme aux personnages que nous mettons à l’honneur, quel que soit leur sexe ou leur genre. 

C’est vrai dans les documentaires où nous avons à cœur de traiter les grands sujets contemporains en les replaçant dans un contexte historique, politique, géographique. Ainsi notre film L’autre pilule : un combat pour les femmes, revient sur l’histoire de la pilule abortive mise au point par le Pr Baulieu, qui a fait l’objet d’attaques virulentes derrière lesquelles se cache mal la volonté de réduire les libertés et les droits des femmes. 

En fiction, existe-t-il un regard spécifiquement féminin dans les séries et les films que j’ai produits avec d’autres femmes ? Sans doute, Machine et Machinette ou Tout pour Agnès, ont-elles vu le jour grâce à la volonté et à la sensibilité de jeunes femmes, Tatiana Maksimenko et Judith Naudet. Mais surtout, nous avons à cœur de proposer un nouveau regard sur nos grandes pages d’histoire collective. Il s’agit souvent de grands hommes, puisqu’il faut bien reconnaître que c’est longtemps à travers eux que l’Histoire transmise s’est écrite. Mais nous nous attachons à redonner une place de choix, celle qu’elles méritent, aux femmes qui les accompagnent. Dans De Gaulle, l’Éclat et le Secret, Constance Dollé campe une épouse au caractère affirmé et à l’influence incontestable, bien éloignée d’une « Tante Yvonne » réputée effacée. Pour Clemenceau, la force d’aimer c’est une histoire d’amour que nous avons choisi de raconter, d’après le livre de Nathalie Saint-Cricq : le récit d’une passion réciproque, loin des clichés, dont les deux protagonistes tirent un immense bonheur existentiel, apprenant à mieux vivre l’un grâce à l’autre. A égalité, en complémentarité, avec amour.