Florence Sandis (Présidente du médiaClub’Elles) : "Les femmes des médias, excellentes dirigeantes"

7 mars 2024
A quelques exceptions près, impossible de trouver une représentation de la femme dirigeante qui ne soit pas caricaturale ! Pourtant, nombre de femmes se révèlent d’excellentes dirigeantes avec des résultats dont on ne parle assez quand ceux-ci sont exceptionnels.

Ces dernières semaines, l’audiovisuel français semble enfin engager véritablement son Metoo.

A la suite des pionnières (Flavie Flament, Vanessa Springora, Adèle Haenel…), Judith Godrèche a osé témoigner, puis a porté plainte contre les réalisateurs Benoît Jacquot et Jacques Doillon dans un univers du cinéma français si réfractaire encore à se remettre en cause. Cette parole est d’autant plus précieuse qu’elle autorise à chaque fois d’autres femmes à braver l’opprobre pour s’exprimer dans leur sillage. Précieux aussi le fait que l’actrice, auditionnée par la délégation aux droits des femmes au Sénat le 29 février, ait demandé la création d’une commission d’enquête sur les violences sexuelles dans le cinéma. 

Avant elle, Flavie Flament (victime à 13 ans du photographe David Hamilton, autrice du livre et du documentaire « La consolation ») avait oeuvré avec l’ancienne Ministre de l’Enfance, Laurence Rossignol, jusqu’à l’obtention de la loi sur l’allongement du délai de prescription en cas d’agressions sexuelles. 

Parler, reconnaître qu’une personne a été victime, la soutenir, c’est primordial pour qu’elle puisse se réparer et que les pouvoir publics et la société entière prennent leurs responsabilités. Tout aussi essentiel, me semble-t-il, est de ne pas enfermer les femmes dans ce rôle de victime et de célébrer, au contraire, leur puissance.

Les femmes ne sont pas des victimes

La puissance de transcender leur propre histoire avec résilience et intelligence. La puissance d’ouvrir des portes et de devenir rôle modèle.

La puissance, quand elles s’y autorisent, de briser le plafond de verre.

J’ai adoré quand Delphine Ernotte a osé dire qu’elle aimait le pouvoir, lors du lancement de la série animée « Culottées » sur France 5, en 2020, c’était tellement culotté en effet de dire cela en public. Je me rappelle qu’un frisson avait parcouru l’assemblée comme si elle avait dit quelque chose de terriblement subversif. Pourquoi les femmes n’oserait-elles pas assumer qu’elles peuvent diriger ?

A quelques exceptions près, impossible de trouver une représentation de la femme dirigeante qui ne soit pas caricaturale ! Pourtant, nombre de femmes se révèlent d’excellentes dirigeantes avec des résultats dont on ne parle assez quand ils sont exceptionnels.

A la tête de l’audiovisuel public, nous avons la chance d’avoir des dirigeantes dont la réussite est remarquable. Toutes ont dû conduire de grandes transformations dans un contexte de profonde mutation pour le secteur audiovisuel, de baisse des financements (suppression de la redevance, impact de la crise sur les annonceurs), de crise sanitaire et de bouleversements géopolitiques.  Et, malgré cela, France télévisions est à l’équilibre depuis 2016 grâce une gestion rigoureuse de sa patronne, devenue la première dirigeante du groupe à être reconduite dans ses fonctions. Marie-Christine Saragosse a été reconduite pour un 3ème mandat à la tête de France Médias Monde (qui affiche 50% de femmes à l’antenne en 2023) et Sibyl Veil pour un 2ème mandat à la tête de Radio France, dont les audiences sont excellentes.

Mais sans une volonté politique, combien d’années aurait-il fallu attendre pour que l‘on donne sa chance à une femme au plus haut sommet de ces entreprises ?

Où sont les femmes à la tête des grands groupes français de télévision privés ?

Dans les groupes de production, les patronnes sont encore trop rares mais quand elles sont là, elles cherchent dorénavant à imprimer leur marque.

Alexia Laroche-Joubert vient de prendre les rênes de Banijay et affirme ses choix éditoriaux. Justine Planchon préside depuis 2022 Mediawan Prod (regroupant 12 sociétés de production de flux et documentaires), dont elle développe et consolide la marque. 

Cécile Rap Veber, première femme Directrice Générale à la Sacem (société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique), et Christine Lidon, première femme à présider cette institution créent aussi l’histoire…

Et si l’indignation des femmes reçoit aujourd’hui un meilleur accueil aux Cesar que celui qu’a connu Adèle Haenel en 2022, n’est-ce pas dû en partie au fait que l’académie des Cesar est dorénavant présidée par une femme, brillante et engagée, Véronique Cayla (ex présidente d’Arte) ?

Bref, des femmes qui réussissent et sont puissantes - comme dirait Léa Salamé qui cartonne en prime time le samedi soir sur France 2 - cela fait du bien. Et on a envie de le crier fort !

Dans la production indépendante, de grandes productrices comme Simone Harari, Pascale Breugnot ou Fabienne Servan-Schreiber avaient bien sûr déjà ouvert le chemin avec de grand succès.

Les plus jeunes aujourd’hui cherchent souvent à s’entraider, à se conseiller, à promouvoir une forme de sororité, pas si évidente dans un univers où règne tant la concurrence.

Je ne pourrais que les inviter à la développer car j’y voue moi-même une grande partie de mes activités, en particulier au sein du médiaClub’Elles où nous menons beaucoup d’actions de terrain pour accélérer les carrières des femmes et la parité dans nos médias. 

Ce que l’on remarque : les compétences des femmes sont là, il leur reste surtout à s’autoriser !  D’où nos nombreux programmes de mentoring nationaux et internationaux (notamment au MIPTV et au MIPCOM) mais également des ateliers, par exemple sur la négociation ou la prise de parole en public, et bien sûr des rencontres et des tables-rondes, pour s’informer, se motiver, networker… 

« Ensemble nous allons plus loin » dit le proverbe africain.  Unissons-nous toutes ensemble, mais aussi avec les hommes qui sont nos partenaires. C’est la raison pour laquelle le médiaClub’Elles a toujours été inclusif. J’ai d’ailleurs tenu personnellement à créer le Trophée de l’homme féministe depuis 6 ans car il me semble primordial de valoriser ceux qui ont l’intelligence d’œuvrer pour un monde plus paritaire et donc forcément plus prospère, plus durable. En se mobilisant pour cette égalité fondamentale, on œuvre aussi à se libérer, dans son sillage, de toutes les autres discriminations. 

Le chemin est encore long mais l’équité en vaut la peine…