Cannes 2021 : Rencontre avec le compositeur Rone

9 juillet 2021
Lauréat du César de la meilleure musique pour La Nuit Venue en mars dernier, Erwan Castex (Rone) est actuellement à Cannes pour y présenter le nouveau film de Jacques Audiard, Les Olympiades. Le compositeur est également membre du jury du prix de la meilleure création sonore à Un certain regard. L’occasion de faire un retour sur les débuts en fanfare de ce jeune prodige à l'occasion des temps forts de la SACEM à Cannes.

Après avoir débuté il y a des années votre carrière dans l’industrie musicale, vous venez d’effectuer récemment  une entrée fracassante dans le milieu du cinéma en recevant un César dès votre première composition musicale pour La Nuit Venue. Comment en êtes vous arrivé à cette collaboration avec le réalisateur Frédéric Farrucci ?

Cela fait dix ans que je compose des albums mais j’ai toujours souhaité travailler dans le cinéma. J’ai reçu plusieurs scénarios au cours des dernières années mais cela me tenait à cœur de m’engager sur un projet de cinéma qui avait du sens. J’ai donc préféré attendre le moment opportun. Le réalisateur Frédéric Farrucci m’a apporté un scénario rare. Cela a été une expérience très intense car les délais de la production m’imposaient de composer la bande originale en trois semaines. Même si j’aime travailler dans l’urgence. Cela stimule la créativité. Le film étant une immersion dans un Paris que l’on connaît peu, Frédéric et moi souhaitions concevoir une bande originale très atmosphérique. Nous avions des références communes quant à des musiques électroniques très épurées, très aériennes. Nous avons trouvé assez vite une texture sonore avec des longues nappes qui se « mariaient » parfaitement avec les scènes de déambulation du personnage principal dans la nuit parisienne.

Vous avez également composé la musique du nouveau film de Jacques Audiard, Les Olympiades, qui sera présenté dans la compétition officielle cannoise. Pouvez vous nous raconter votre rencontre avec un tel cinéaste ?

Ce qui est assez surprenant, c’est qu’il y a quelques années, on m’a demandé avec quels réalisateurs je rêverais de travailler. Et Audiard était le premier que j’ai cité. Quand il m’a appelé pour me dire qu’il souhaitait me confier la musique de son nouveau film, cela me paraissait surréaliste. Il avait vu La Nuit Venue qu’il avait beaucoup apprécié et il avait eu un gros coup de cœur pour un de mes clips, Room Of A View, qui reprend un spectacle que j’ai fais avec les danseurs du Ballet National de Marseille. Il m’a invité à une projection privée de son film, que j’ai trouvé sublime. Il m’a alors proposé de choisir trois scènes et de composer de la musique dessus en trois jours. Et il a été très emballé. À l’origine, il souhaitait 25 minutes de musique sur l’ensemble du long métrage. Mais, à la réflexion, il a estimé que le film devait être beaucoup plus musical et il a finalement décidé qu’il y aurait 45 minutes de musique que j’ai dû composer, là aussi, en à peine un mois.

On sait très peu de choses sur Les Olympiades. Que pouvez-vous nous en dire ?

C’est un film à part dans la filmographique de Jacques. C’est une chronique sentimentale avec des intrigues amoureuses autour de trois filles et un garçon dans le XIIIème arrondissement de Paris. C’est une œuvre qui reflète la société contemporaine et la jeunesse d’aujourd’hui. C’est aussi un film qui prône l’inclusion en mettant en scène des personnages principaux issus de la diversité mais sans que cela soit trop appuyé ou caricatural.

Quelle était la direction artistique à suivre pour composer la bande originale ?

Dans la première version du film que Jacques m’a fait découvrir, j’ai constaté qu’il avait posé des musiques de référence sur plusieurs scènes, et notamment des musiques classiques, comme Schubert. Or je compose de la musique électronique. J’ai donc été assez surpris qu’il se tourne vers moi. Il m’a dit d’oublier ces références et de ne pas m’y attacher. Ce que j’ai compris, c’est que même si Jacques a une idée précise de ce qu’il attend, il aime néanmoins être surpris et bousculé. Si j’avais cherché à imiter Schubert, mon travail était voué à l’échec. Je suis donc parti dans une autre direction en proposant des sonorités très électroniques. Dans mes échanges avec Jacques, je comprenais qu’il avait envie d’un son moderne et urbain mais qu’il était aussi attaché à un son qui ne soit pas hyper compressé. Il fallait mélanger tout cela avec des sonorités assez organiques, qui ne soient pas froides. J’ai donc mis aussi du violoncelle ainsi que du piano sur la bande originale.

Vous avez une autre actualité cannoise puisque vous êtes membre du jury du prix de la meilleure création sonore à Un certain regard, aux côté de Bruno Coulais, Guillaume Sciamma, Christian Hugonnet et Janine Langlois-Glandier. Que pensez vous de cette initiative pour mettre en avant le travail des techniciens du son et comment être sensible au travail sonore sur une œuvre cinématographique ?

J’ignorais l’existence de ce prix avant que Christian Hugonnet me propose d’intégrer le jury. Je trouve cette démarche d’autant plus appréciable qu’il n’y a pas de prix pour récompenser les techniciens et les musiciens dans la compétition officielle cannoise contrairement à d’autres grandes cérémonies françaises, comme les César, ou internationales, comme les Oscars. J’apprécie le fait que, à travers ce prix, on ne récompense pas une personnalité précise mais avant tout un film et l’ensemble des personnes qui ont contribué à sa conception sonore, du metteur en scène à l’ingénieur du son en passant par le mixeur et le compositeur. Nous abordons les films en nous concentrant sur tous les détails sonores et ce qu’ils apportent à la narration.

Quels sont vos projets ?

Je reprends actuellement mon spectacle avec les danseurs du Ballet National de Marseille. Nous serons notamment à la Biennale de Venise au début du mois d’août. J’ai un projet avec un orchestre symphonique pour une création avec 80 musiciens autour de la musique classique et électronique. Et, bien entendu, j’espère poursuivre ma collaboration avec de grands cinéastes.