Paolo Moretti : « Notre mission est de donner une chance à des propositions de cinéma extrêmement singulières »

6 juillet 2021
Le Délégué Général de la Quinzaine des Réalisateurs évoque le travail mis en place par son comité pour soutenir l’industrie au cours des derniers mois ainsi que sa volonté de revenir aux origines mêmes de cette sélection : la promotion d’un cinéma exigeant et novateur.

Au moment de l’annulation du Festival de Cannes l’an dernier, contrairement à d’autres sélections comme la compétition officielle ou la Semaine de la Critique, vous n’avez pas labellisé de films pour accompagner leur sortie en salles. Quelles actions avez-vous mis en place pour soutenir l’industrie au moment où la crise a frappé ?

Nous sommes avant tout au service des cinéastes, des producteurs et de ceux qui rendent les films possibles. Nous étions prêts à soutenir les films que nous avions identifiés mais pratiquement tous les films que nous avions sélectionnés ont préféré attendre la tenue de notre manifestation en édition physique et seront présentés à Cannes cette année. Il y a tout de même trois films auxquels nous avons pu apporter une reconnaissance. Il s’agit de We Are Who We Are, de Luca Guadagnino, de Kajillionaire, de Miranda July, et d’Un pays qui se tient sage, de David Dufresne. Nous avons également envoyé plusieurs lettres d’appréciation à certaines productions dont les œuvres nous ont séduites, qui ont pu être utiles pour appuyer des demandes d'aides à la post-production ou à de nouveaux projets. Nous n’avons donc pas attribué de labels mais avons néanmoins agi pour soutenir les films. De manière peut-être moins visible, mais avec le même esprit que d’autres sélections.

Le processus de sélection a t-il été plus contraignant que les autres années ?

Nous avons visionné plus ou moins le même nombre de films que les années passées. Aussi bien en longs métrages qu’en courts métrages. La seule différence est celle d’avoir pu commencer la sélection à partir de quelques films que nous avions identifiés l’an dernier et qui ont constitué la base de notre sélection 2021. On peut dire que nous sommes restés fidèles aux films et qu’ils nous sont restés fidèles.

Vous avez déclaré que cette sélection met en avant la notion de « découverte »…

Avec le comité de sélection il y a une question que nous gardons constamment à l’esprit : « Qu’est-ce qui distingue un film sélectionné à la Quinzaine par rapport à une autre sélection ? ». Je me réfère beaucoup au début des années 70 où la Quinzaine bénéficiait d’une présence explosive dans l’environnement cannois et avait apporté un concept nouveau. Le Festival officiel fonctionnait alors un peu comme une exposition universelle où chaque pays présentait son meilleur film. La Quinzaine, en revanche, sélectionnait des voix d’auteurs extrêmement radicales, en apportant une rupture avec les codes établis, autant esthétiques que politiques.

Ce qui est intéressant, au-delà de l’impact esthétique des œuvres, c’est aussi le fait que, en profitant du contexte du marché cannois et de la présence d’acteurs majeurs de l’industrie mondiale, la Quinzaine a contribué à révéler le potentiel commercial, souvent insoupçonné, de films considérés comme « radicaux ».

Cela n’a pas changé : notre mission reste celle d’identifier et de donner une chance à des propositions de cinéma extrêmement singulières, de recherche, qui contribuent à l’évolution des codes de narration. Tout en espérant déclencher des dynamiques économiques qui permettent à cette recherche d’avancer.

Sur les 24 cinéastes que vous avez sélectionnés, 22 n’ont jamais présenté un long-métrage à Cannes. Preuve que vous souhaitez contribuer à révéler des nouveaux auteurs ?

La Quinzaine a révélé des « nouveaux auteurs » qui font aujourd’hui partie de l’histoire du cinéma, comme Werner Herzog, Martin Scorsese, Chantal Akerman, Ken Loach, Philippe Garrel, Djibril Diop Mambéty... Et, plus récemment, Michael Haneke, les frères Dardenne, les frères Safdie, Chloé Zhao ou Sean Baker, que nous retrouvons cette année en Sélection officielle en compétition. Tout le mérite en revient à mes prédécesseurs, qui ont fait un travail extraordinaire. Faire confiance et révéler des nouveaux cinéastes fait historiquement partie de notre mission et, avec le comité de sélection, nous essayons de faire perdurer cet esprit.

À l’instar des autres sélections, la vôtre fait aussi la part belle au cinéma français. Comment l’expliquez-vous ?

Cela résulte d’une logique purement statistique. Le Festival de Cannes est un festival français, qui se déroule en France et qui s’avère être le plus important festival de cinéma du monde. De fait, en France, les calendriers de production se calent souvent sur les dates cannoises et l’industrie française présente au festival une quantité de films qui est statistiquement supérieure à n’importe quelle autre nation. Il est donc, je trouve, plutôt normal que le cinéma français soit particulièrement bien représenté à Cannes. D’autant plus que le cinéma français demeure l’un des plus divers et des plus innovants. Mais nous construisons notre sélection indépendamment de la nationalité des œuvres. Notre défi principal n’est pas de faire un atlas géographique du cinéma mais, avant tout, de révéler des écritures cinématographiques contemporaines.

Votre sélection semble témoigner un attachement au principe de parité puisqu’elle compte 12 réalisatrices pour 24 films…

C’est inédit dans l’histoire de la Quinzaine et c’est un signe que je trouve extrêmement positif. Même si ce n’est que le début et il reste beaucoup de chemin à faire, nous saluons l’évolution actuelle. Nous avons été parmi les signataires de la charte de parité dans les festivals et parmi les premiers à avoir un comité de sélection paritaire, et maintenant à majorité féminine. Concernant cette sélection, nous n’avons pas eu à faire d’efforts particuliers. On constate que les films réalisés par des femmes augmentent en quantité et en qualité. Cela est sans doute le résultat de la mobilisation collective de ces dernières années et de la réponse que l’ensemble de la filière de production a su donner aux instances de parité-égalité.

Quelle ligne éditoriale se dégage de la sélection que vous avez élaborée ?

Il est plus difficile aujourd’hui qu’en 2019 de définir une ligne éditoriale sur notre sélection tant elle s’avère plus éclatée en termes de sujets et de sensibilité. Cela crée une variété de couleurs et de styles que nous avons essayé de traduire dans notre affiche qui est à l’image de la diversité d’approche et d’écriture que l’on trouve dans nos films.