A la recherche de la série perdue. Rencontre avec Laurence Herszberg et Francesco Capurro

8 décembre 2022
Créé au Forum des Images à Paris en 2010 par Laurence Herszberg, le Festival International Séries Mania, depuis 2018 installé à Lille est le plus grand festival, forum et école d'Europe, dédié aux séries.
Laurence Herszberg

Dans le cadre d’un accord signé entre TAICCA et Séries Mania, une importante délégation sous l'égide de Séries Mania s'est rendue au Taiwan Creative Content Fest (TCCF) qui se déroulait cette année du 3 au 13 novembre.

Rencontre avec Laurence Herszberg, Présidente de Séries Mania et Francesco Capurro, directeur du Séries Mania Forum afin de recueillir leurs impressions sur cet événement.

Bonjour à tous les deux, vous vous êtes rendus à Taïwan au Taiwan Creative Content Fest (TCCF) avec une importante délégation puisque sur 42 pitchs, 24 l’étaient par la délégation de Séries Mania. Pourquoi cette présence en si grand nombre ?

Laurence Herszberg : En effet, nous étions nombreux avec une délégation de grande qualité, française, et européenne, puisque nous représentons la profession à l'échelle de l'Europe. Thomas Anargyros, President de Mediawan, Kit Yow, de All3MEDIA, VP sales sur l’Asie, Julien Ezanno, bilateral affairs advisor du CNC, Iris Bucher, CEO de Quad Drama, Iris Bucher, Clémentine Vaudaux, productrice chez GAUMONT, ainsi qu’Emmanuelle Guilbart, CEO d’About Premium Content nous ont accompagnés au TCCF. Le TCCF est, pour nous, plus un marché qu'un festival. Cet événement était prétexte à une rencontre internationale après notre accord signé avec TAICCA, parce qu'il y avait déjà tous les professionnels sur place.  Nous avons eu la possibilité d'expliquer tous les ressorts de la coproduction internationale, et de rencontrer l'ensemble de la profession. Tous les acteurs avaient travaillé sur des pitchs qu'ils présentaient à l'ensemble des producteurs avec l’objectif d'être invité à Séries Mania l'an prochain. Et avec la délégation, nous avons élargi notre visite au-delà du festival et sommes allés à la rencontre de nombreuses entreprises, qui ont de très belles et très impressionnantes infrastructures techniques. Ainsi, Mediacorp, un grand groupe qui fait à la fois de la fiction et des news.

« Les marchés internationaux s'ouvrent à la coproduction»


Laurence Herszberg

Comment se sont déroulées ces rencontres ?

LH : J'ai été impressionnée par le professionnalisme des équipes, la créativité, l’ouverture d'esprit et leur juste compréhension des mécanismes internationaux. TAICCA est très avide de travailler avec l'Europe et la Corée. D'ailleurs, la Corée est leur modèle en matière de production, également inspirée du modèle français. Et puis, de nombreux paramètres jouent en leur faveur. Les marchés internationaux s'ouvrent à la coproduction, les professionnels taïwanais de l'audiovisuel ont des infrastructures importantes et mettent en avant la liberté d'expression. Leur rayonnement cinématographique est indéniable, mais pour la série, nous en sommes au tout début. Et leur volonté et leur professionnalisme nous donnent envie d'aller encore plus loin dans notre partenariat avec TAICCA.

Vous avez en effet signé un accord avec TAICCA. Quel en est l'historique ?

Francesco Capurro : Cet accord a été signé au Forum de Séries Mania en mars 2022, initialement avec Hsiao-Ching TING, CEO de TAICCA à l'époque, par l'intermédiaire d'Aurélien Dirler et en concertation avec le CNC.  Le CNC voyait Taïwan comme l'un des pays stratégiques dans le développement des relations internationales pour la filière française, mais le statut de Taïwan lui permet de signer des accords officiels et non des accords d'État à État. 

L’accord que nous avons signé avec TAICCA vise à renforcer la coopération entre l'Europe et Taïwan dans le domaine des séries TV, en donnant la priorité aux échanges professionnels et aux talents afin de faciliter le développement de co-productions internationales. Il se décline en deux volets. Le premier consistait en la venue d'une délégation de professionnels français et européens à Taïwan pour le TCCF, et le second volet, la sélection de cinq projets taïwanais pitchés devant les professionnels français et européens à Séries Mania en 2023 avec un stand dédié pour mettre en valeur leur savoir-faire.

« Renforcer la coopération entre l’Europe et Taïwan dans le domaine des séries TV » Francesco Capurro

Quel a été votre premier contact avec Taïwan ?

L.H : Aurélien Dirler, ancien attaché audiovisuel à l'Ambassade de France de Taïwan, nous a appelé conjointement avec Mme Ting de TAICCA, au début de l’année 2021, et nous avons tout de suite eu envie d’aller plus loin.  Puis nous avons rencontré TAICCA en mars 2022 et tout s'est fait très vite. Aujourd'hui Aurélien Dirler est expert technique de TAICCA. Le succès de cette mission lui doit beaucoup.

« TAICCA est une organisation jeune, puissante, très mobilisée »


Laurence Herszberg

Taïwan est-il la première porte d'entrée de votre développement en Asie ? 

F.C. : Taïwan est la première porte d'entrée vers l'Asie qui se concrétise. Nous envisageons aussi des rencontres avec le Japon et avons des échanges avec Nippon TV. 

L.H :  TAICCA, et c'est une première, a fait la démarche de venir vers nous, d'habitude c'est plutôt l'inverse, nous allons à la rencontre des pays. Nous avons senti chez TAICCA une envie très forte de se rapprocher des acteurs français et européens. C'est une organisation jeune, très puissante et très mobilisée.

Après « Fragrance of the First Flower » sélectionné à Séries Mania en 2021, c'est au tour de la série « JUDOKA » produite par Y.C. Tom Lee et Jae Yang, d'avoir été choisie pour être pitchée lors du prochain Séries Mania Forum en mars 2023 à Lille.  Pourquoi ce choix ? 

L.H. : Lorsque nous étions au TCCF, c'était la première fois que nous lisions autant de projets de séries taïwanaises. Il y a une grande liberté d'expression à Taïwan. De nombreuses histoires sont intéressantes, notamment sur les thématiques LGBT, avec les BL (Boy's Love), et fantastique. Nous n'avons pas toujours les connaissances culturelles pour les comprendre. Et nous devons tenir compte des besoins du marché occidental. Tous les producteurs de la délégation ont été unanimes sur le choix du projet « JUDOKA ».  Nous les avions associés car in fine, ce sont les premiers concernés. À Taïwan, les standards de production sont très élevés, et n'ont rien à envier aux autres pays.  Notre choix repose sur le potentiel de la série à trouver ses producteurs. La question que nous nous posons est : quel projet peut fonctionner et où ?

F.C : « JUDOKA » est une histoire universelle. Elle possède tous les mécanismes qui peuvent fonctionner à l'international : une histoire d'amour conflictuelle à la Roméo et Juliette dans un double contexte, le judo (sport à la fois graphique et visuel) et un contexte géopolitique, la Corée du Nord et son enfermement politique qui ont une résonance partout dans le monde. Récemment, TAICCA vient de lancer son appel à candidature pour les professionnels taïwanais, afin qu'ils puissent être sélectionnés aux prochains pitchs. Il reste encore de la place pour quatre projets, et donc cinq avec « JUDOKA » seront présentés lors de la prochaine édition à Séries Mania en mars 2023.

À votre avis, quels sont les avantages d'une coproduction avec Taïwan ?

LH. : À Séries Mania, il est important que TAICCA puisse parler des infrastructures qu'elle possède (exemple du water tank utilisé dans L'Odyssée de Pi). Taïwan est un lieu où l'on peut produire, le coût d'un épisode n'est pas excessif, environ 300 000 Euros, et il existe de nombreux dispositifs d'aides à la production. En plus de leur volonté et de leur dynamisme, il existe un vrai savoir-faire technique qui a déjà fait ses preuves. Abderrahmane Sissako, qui réalise son prochain film La colline parfumée, en coproduction avec TAICCA, s’est également montré très enthousiaste.

F.C : Nous avons visité les locaux de CPMC, aux infrastructures techniques impressionnantes et rencontré les responsables de DaMou, société de production de séries très qualitatives destinées au marché international qui collaborent déjà avec HBO Asie.

Le choix de « JUDOKA » a-t-il un lien avec la tendance des séries de cette année ?

L.H : Existe-t-il des tendances dans les séries ? Certes, il y a souvent des thématiques qui reviennent. Parfois, au Forum, les producteurs apportent des projets qui ne rentrent pas forcément dans des cases, et ces projets sont créateurs de tendances. Tout dépend des années. Mais c'est encore trop tôt pour le dire.

F.C : Nous sommes confiants avec la série « JUDOKA ». Il existe peu de séries réussies dans le domaine du sport, le judo s'y prête bien visuellement. Et, en plus de l'histoire d'amour, le contexte politique est intéressant, avec les enjeux liés à la Corée du Nord.

Comment les séries taïwanaises peuvent-elles conquérir le marché occidental ?

L.H. : Nous en sommes au tout début. Il y a eu beaucoup d'échanges, de nombreuses séries sont orientées vers les comédies romantiques et le fantastique, ou tournées vers les marchés asiatiques et nationaux et c'est tout à fait légitime. Il reste à élaborer un travail d'écriture et de scénarisation pour que les séries trouvent leur public en Occident.

Pour vous, ce partenariat avec Taïwan est-il une façon d'accroître la notoriété de Séries Mania ? 

LH : Séries Mania est aujourd'hui l'endroit mondial où se décident et se discutent les séries de demain. Ce pari est réussi en l'Europe et avec les États-Unis. Nous voulons avancer avec l'Asie, l'Amérique latine et l'Afrique. Auparavant, nous organisions des événements sœurs pour mettre en avant le festival. Aujourd'hui, la notoriété de Séries-Mania est suffisante et cela n’est plus nécessaire.

Avez-vous d'autres partenariats en vue ?

F.C : Nous avons récemment officialisé notre collaboration avec le Canada, en partenariat avec le CNC et Téléfilms Canada. Et deux programmes sont dédiés aux séries africaines : DEENTAL (Afrique, Pacifique et Caraïbes) avec 4 projets pitchés en 2023 et AuthenticA Series Lab pour l'Afrique du sud avec également 4 projets, soient 8 projets en tout sur l'Afrique. Et nous aurons un match-making Canada - France.

« Faire de la région Hauts-de -France la région de la série »


Laurence Herszberg

Il existe d’autres festivals de séries, Séries Séries à Fontainebleau et Cannes Séries mais Séries Mania s'est imposé comme le plus grand festival de séries en Europe.  Récemment, vous avez créé le Séries Mania Institute. Est-ce pour avoir une proposition 360 autour de la série ?

F.C. : En effet, nous avions déjà lancé des résidences d'écriture les années précédentes. Le Séries Mania Institute est consacré à la formation de celles et ceux qui feront les séries européennes de demain.

L.H. : Nous voulons que Séries Mania soit un écosystème dédié à la série de la même façon qu'Annecy l'a fait pour l'animation, un endroit l'où on peut tout faire sur place. L’institut s'inscrit dans une logique de festival à l'année. C'est un événement incontournable de la profession aujourd'hui avec les dialogues de Lille qui prolongent le festival. L'idée est de maintenir l'événement au-delà des huit jours, avec Pictanovo, Plaine Images. Nous voulons faire de la région Hauts-de -France la région de la série.

Yaël Yermia