Tableau noir sur grand écran, l'Edito d'Eric Libiot

13 décembre 2023
Eric Libiot, rédacteur en chef d'Ecran total, livre son point de vue sur la semaine écoulée et sur les enjeux de celles à venir.
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C’est un dommage collatéral dont on ne sait s’il est inconscient ou volontaire. Mais il est problématique (euphémisme). Dans un souci, fort louable, d’assurer la présence d’un professeur à chaque cours, le ministère de l’Éducation nationale a publié en septembre « un guide à l’usage du chef d’établissement » portant sur le « remplacement de courte durée » (RCD). Très bien. Sur le papier en tout cas. Sur le terrain de l’école c’est autre chose : ce guide remet en cause les sorties scolaires et les formations des profs pendant leur temps de travail. Est notamment touché le dispositif de « l’éducation à l’image » qui concerne les deux millions d’élèves, de la maternelle au lycée, qui se rendent au cinéma. Et par voie de conséquence, les professeurs volontaires, les distributeurs et les exploitants. Ça fait du monde. Et c’est une mauvaise nouvelle.

L’Archipel des lucioles, « plateforme collaborative d’éducation aux images » a lancé fin novembre une pétition pour dénoncer ce RDC tel qu’il est prévu. Elle a obtenu plus de 2200 signatures : enseignants, établissements scolaires, exploitants, distributeurs (Ad Vitam, Jour2fête, KMBO, Le Pacte...), producteurs, festivals et cinéastes (Cédric Klapisch, Thomas Bidegain...). La pétition est ouverte jusque début janvier avant d’être envoyée au ministère de l’Éducation nationale et à celui de la Culture.

Il n’a sans doute échappé à personne qu’après la publication du rapport Pisa, le niveau scolaire français n’a pas été franchement applaudi. Les élèves sont nuls en maths, ils ne savent ni lire, ni écrire, pas plus qu’ils ne connaissent la géographie, les départements, la physique quantique, le classement de Mendeleïev, le Moyen-âge et Louis XIII. Ah si, pardon, les élèves qui sont allés voir Les Trois Mousquetaires le connaissent désormais. Le cinéma a du bon.

Si je noircis volontairement le tableau noir des résultats, c’est pour m’agacer des solutions annoncées par le ministre : classe de niveau et retour du redoublement. Ce n’est pas le lieu, ici, d’en discuter le bien-fondé mais c’est toujours la même chose dans pareil cas : jamais la culture comme formation de l’esprit critique et connaissance du monde - cinéma, peinture, musique etc. - n’est citée. On imagine quelques technocrates balader les baladins d’un revers de mains et ignorer les saltimbanques (et pourtant il y a le mot banque dedans). Monsieur le ministre, il faut revoir votre copie. Déjà L’Archipel des lucioles note un début de désaffection des profs. L’amour du cinéma ne peut pas tout.

Fragiliser le secteur

Envisager l’importance de la culture, ici le cinéma, n’est pas seulement lié à une conception singulière des choses du monde mais revêt aussi un aspect économique (plus audible peut-être ?) : remettre en cause l’éducation à l’image telle qu’elle est fragilise le secteur, notamment les distributeurs et les exploitants. Gabriel Attal, toujours lui, envisage de mettre en place des « cours d’empathie » sur le modèle danois. Surtout qu’il ne bouge pas le petit doigt ! L’empathie, l’altérité et mille autres choses, on les trouve chez Chaplin, Triet, Ozu, Diwan, Renoir, Loach, Cailley, Miyazaki et les autres. Bonne nouvelle : Tomboy de Céline Sciamma vient d’entrer au « collège du cinéma » et va être vu en salle par les élèves. 

Cher Monsieur le ministre, n’hésitez pas à aller, vous aussi, voir ce merveilleux film qui réunit tout ce qu’il faut à un élève pour découvrir le monde. Il n’est pas impossible qu’il fasse aussi des progrès en maths.