Anatomie d’un tweet - l'édito cannois d'Eric Libiot
Ça dure depuis des mois. Que ce soit le CNC, la SACD, Unifrance, le Marché du f ilm et autres, toutes les organisations qui s’agitent derrière l’écran ont cogité leurs dossiers, préparé les interventions et invité les participants afin que tout se déroule pépouze pendant le festival de Cannes. Sujets carrés pour tables rondes. Et boum : Donald Trump s’invite à la fête et balance lundi dernier sur son réseau social sa volonté de taxer “à 100 % les droits de douanes” sur les films distribués aux Etats-Unis mais produits à l’étranger. Évidemment, l’annonce est suffisamment f loue pour qu’elle fasse de l’effet dans tous les coins mais rien ne dit qu’elle sera suivie de décisions précises. Ce que confirment tous les observateurs. Mais comme dirait Martine Aubry en une phrase devenue célèbre et f inalement très juste : “quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup.”
Cette annonce trumpienne est une pierre de plus à l’édifice déjà fragile d’un secteur en pleine mutation. L’Intelligence artificielle, comme le dit dans nos pages Guillaume Esmiol, le patron du Marché du film, inquiète et/ou enthousiasme la profession. Les innovations technologiques plus de difficultés à boucler leur financement. Avantage : ce sont ces grosses locomotives qui marchent mieux sur les marchés étrangers comme le souligne Unifrance, qui peut se satisfaire d’une bonne tenue des tricolores à l’international.
Et boum (bis) : Trump remet la balle au centre. Et tire en fait contre son camp puisque les droits de douane risquent surtout de plomber Hollywood qui se plaît à tourner en Europe, au Canada ou en Asie. Faudra-t-il qu’Emilie quitte Paris pour Miami ou Chicago ? Maintenant aguerri aux éruptions du président américain, le monde attend la suite - si tant est qu’elle vienne. Cannes va forcément mettre Trump au centre des conversations, peut-être pour son plus grand plaisir, et il faudra mesurer le volume des réactions du milieu. Mais déjà les professionnels, un premier temps surpris par l’envolée de Donald, se préparent en coulisse. Pas d’inquiétude du côté du CNC qui se la joue attentiste et combatif - des mesures d’éventuelles rétorsions seraient prêtes dit-on. Unifrance, de son côté, voit dans la politique chinoise qui a réduit le nombre de films vont à toute allure et souvent dépassent la vitesse de réflexion nécessaire à leur bonne appréhension. Le secteur de l’animation, lui, est toujours en berne à cause du désengagement des plateformes qui lui avait pourtant redonné des couleurs après la Covid. La fréquentation en salle des quatre premiers mois de l’année américains distribués sur son territoire une opportunité pour augmenter la part de marché tricolore. Tout ne va peut-être pas si mal.
Mais tout de même. On a rarement vu la profession aussi sensible au courtermisme. L’écho rencontré par l’annonce de Trump en est la preuve. Mais ces réactions disent aussi la est loin de faire des étincelles. Le financement des films reste tendu à cause de la situation compliquée des distributeurs. De leur côté, les banquiers soulignent une hausse du nombre de films à gros budgets. Problème : les films du milieu en pâtissent et ont difficulté à maîtriser tous les mouvements d’un secteur en train de vivre sans doute plusieurs révolutions : technologique, économique, financière, artistique. Ça fait beaucoup. La Covid est derrière nous : il n’est plus interdit de se serrer les coudes.