Miyazaki, the King - L'édito d'Eric Libiot
C’était au mitan des années 1990 ; autant dire un siècle dernier. En quelques mois sont sortis sur les écrans français trois films d’animation : Le Roi Lion (novembre 1994), Porco Rosso (juin 1995) et Toy Story (mars 1996). Des trois, Porco Rosso se fit le plus discret. Son réalisateur, Hayao Miyazaki, était un (quasi) inconnu et au rayon animation, les yeux se tournaient exclusivement de l’autre côté de l’Atlantique. Coincée entre l’énorme succès du Roi Lion, qui signait le renouveau Disney, et l’excitant Toy Story, qui annonçait la révolution Pixar, l’histoire de cet aviateur transformé en cochon est restée sur le tarmac. Avec le recul, ce trio dessinait un destin exceptionnel pour le genre animé, jamais démenti depuis.
J’avoue avoir applaudi mille fois Toy Story, regardé Le Roi Lion d’un œil sympathique mais avoir été décontenancé par le film de Miyazaki. Son étrangeté doublée d’un romanesque échevelé n’avait pas d’équivalent. Il a fallu la sortie de Mon voisin Totoro, quelques années plus tard, bien que le film ait été tourné avant Porco Rosso, pour que tout se remette d’équerre : Hayao Miyazaki réinventait l’animation en dessinant un nouveau monde.
Depuis Le Voyage de Chihiro, sorti en 2002, qui a dépassé le million d’entrées en France, tous ses films ont été des succès, des surprises, des enchantements, des tours de magie. Le Garçon et le héron, sorti le 1er novembre, ne fait pas exception à la règle. Il se cale tranquillement dans l’œuvre miyazakienne et devrait animer une fréquentation française en (pleine) forme.
Ce film n’aurait jamais dû exister puisque Miyazaki avait annoncé sa retraite des crayons après Le Vent se lève (2013), film au souffle ébouriffant en hommage à son père, directeur d’une entreprise aéronautique (Porco Rosso est-il la figure paternelle fantasmée ?). Mais le cinéaste a repris le chemin du studio Ghibli pour ce Garçon et le héron, qui se place dans la lignée du Voyage de Chihiro (animaux étranges, ambiance onirique). Film testament ? Peut-être. Mais si Miyazaki est revenu une fois il peut revenir encore. Film somme ? Sans doute. C’est d’ailleurs ce que je pourrais lui reprocher : visuellement magnifique mais moins surprenant. Mais bon. Piquer Miyazaki, c’est comme piquer Chaplin, Welles ou Renoir. C’est pour dire quelque chose et faire le malin.

Car Miyazaki est l’un des plus grands cinéastes vivants. Ce n’est tout de même pas rien de transcender à chaque fois l’animation pour être systématiquement présent dans l’écho du monde. Ses histoires n’ont rien de réalistes (truisme) mais si elles touchent autant c’est qu’elle se nichent ailleurs que dans la dimension symbolique des contes (là où sont les Américains). Miyazaki place haut l’imaginaire. Mais chez Miyazaki, le monde imaginaire n’est pas un autre monde. C’est un monde qui marche à côté du réel et qui lui tient la main. Comme chez Stephen King. L’un brasse du merveilleux, l’autre de l’horreur. Les suivre, c’est emprunter un même chemin tortueux qui permet d’avancer à travers des récits d’apprentissage – et on apprend tous les jours. En cela Miyazaki s’adresse à tous les cinéphiles et amateurs de séries, à tous les artistes, tous les professionnels (producteurs, diffuseurs, créateurs) qui servent de passeurs et proposent à chacun, ici ou là, grands et petits écrans, de se nourrir et de s’abreuver de fictions. On ne va pas se raconter d’histoires : il faut se raconter des histoires.