Cinéphile à la patte - l'édito d'Eric Libiot
Ça vaut ce que ça vaut, mais en allant sur le site de LaCinetek, on peut mesurer l’attirance des cinéastes d’aujourd’hui pour celles et ceux d’hier. C’est le principe de la plateforme : les artistes proposent aux abonnés les films qu’ils aiment et les metteurs en scène qui vont avec. Hitchcock, Renoir, Godard, Bergman, Bresson, Fellini sont les plus cités (103 fois pour sir Alfred, vainqueur incontestable) ; Vertigo, Voyage à Tokyo et L’Aurore sont les films les plus plébiscités.
Ettore Scola, lui, se morfond en bas du bas du classement. Quatre films proposés et puis c’est tout. Et encore ! Trois de sa propre main et un autre en forme de sketchs réalisés à plusieurs. Il fait moins bien que Jean-Marie Poiré, Lasse Hallström ou Georges Stevens. Oui, c’est n’importe quoi. Remarquez que la télévision ne fait pas beaucoup mieux. Scola est en VOD et en DVD, c’est vrai, mais il est peu présent sur les chaînes historiques. Oui, c’est n’importe quoi (bis.) Il faut donc applaudir à sa juste valeur l’hommage en 24 films (!) que lui consacre Cinemed, le Festival de cinéma méditerranéen de Montpellier (20-28 octobre). Au programme : Drame de la jalousie, Passion d’amour, La Terrasse, Splendor, Le Bal, Nous nous sommes tant aimés… Plus que la société italienne, Ettore Scola a croqué, souvent à pleines dents, le désenchantement de l’époque. C’est un fabuliste et un humaniste comme il y en a peu.
A quelques encablures de là, à Cannes exactement, se tient le Mipcom (16-19 octobre), le marché des programmes audiovisuels. Ça va vendre, acheter, discuter. En jeu les prochains jeux, émissions, divertissements, talk-shows. Il sera question de flux et de reflux. De ce qui marche et de ce qui court. Des échecs et des succès à venir. Personne ne sait qui sera sur le podium cette saison. Les vieilles marmites font toujours recette mais il faudra tout de même du sang neuf. Le roue tourne chaque année et chaque année des programmes se morfondent en bas du bas du classement. Oui, comme Ettore Scola.
Ce n’est pourtant pas la même cuisine. Attention, ici opinion personnelle : je préfère Affreux sales et méchants, d’Ettore Scola, visible à Montpellier, à The Wheel visible à la télé. Je reconnais que cette phrase est une peu violente. Il est même possible de la trouver un chouïa idiote, partant du principe que tout n’est pas comparable. Et réciproquement. D’accord. Mais permettez-moi de m’attrister qu’un artiste comme Ettore Scola puisse disparaître des radars. Il reviendra peut-être un jour, comme la Star Academy est revenue.
L’anecdote est (parfois) connue : un jour que Truffaut se désespérait de la disparition de la cinéphilie, il s’en plaignit à son ami Chabrol : « bientôt on sera critiqués par des gens qui n’auront jamais vu L’Aurore. » Et Chabrol de répondre : « bientôt on sera critiqués par des gens qui n’auront jamais vu tes films. » Ou ceux de Scola. La cinéphilie mérite qu’on ne la lâche pas. Heureux les festivals - Cinemed, Lumière, quelques autres - qui entretiennent cet imaginaire commun, nécessaire à la reconnaissance de l’altérité. Il est des temps où l’art doit plus que jamais s’affirmer contre les noirceurs du monde. Nous nous sommes tant aimés devrait aussi se conjuguer au futur.