Quelle place pour le cinéma de genre français ?

31 janvier 2023
À l’occasion du 30ème Festival du Film Fantastique de Gérardmer (25-29 janvier), la région Grand Est organisait une table ronde autour du cinéma de genre français. Le but étant de comprendre si ce dernier pouvait être une des clés du retour du jeune public en salles afin qu’il y découvre des œuvres hexagonales plutôt qu’américaines.
Gérardmer

Sans dénigrer notre cinéma français, riche, divers et foisonnant, ce n’est pas lui faire insulte d’affirmer que le genre (horreur, fantastique, science-fiction) n’est pas son fer de lance. Pourtant, ce ne sont pas les tentatives, parfois très réussies au demeurant, qui ont manqué au cours des dernières décennies. À commencer par Le Pacte des Loups, de Christophe Gans, qui a attiré plus de 5 millions de spectateurs en 2001. Un épiphénomène hélas suivi par aucune ou peu de nouvelles tentatives ambitieuses équivalentes, à quelques exceptions près.

Aujourd’hui, quelques acteurs clés de l’industrie tente, tant bien que mal, de remettre un tel cinéma sur le devant de la scène. Ainsi, après avoir fait découvrir au public français certains des plus grands noms du cinéma de genre international, de Park Chan Wook à Bong Joon-ho, le président de la société The Jokers Films, Manuel Chiche, a souhaité mettre à profit le succès de Parasite (2 millions d’entrées) en investissant désormais dans des premiers films de genre français, de La Nuée à Teddy, mais avec plus ou moins de réussite en salles. « Les jeunes spectateurs ne se rendent pas en salles pour y découvrir des films français tant ils trouvent ces derniers trop intimistes. Actuellement, le cinéma français ressemble à ce que les chaînes de télévision veulent pour leurs antennes : des drames et des comédies. C’est heureusement en cours de changement car les chaînes comprennent que leur public est vieillissant et qu’elles ont besoin d’attirer les jeunes téléspectateurs. Elles commencent à soutenir des propositions plus audacieuses. De mon côté, je m’interroge aussi sur les moyens à mettre en œuvre pour mobiliser ce jeune public sur le cinéma français en accompagnant des œuvres qui allient le genre au social, comme Les Rascals qui est un thriller sur l’histoire de la jeunesse française des années 80. Malheureusement le succès n’est pas encore au rendez-vous. Mais je garde espoir en constatant le succès du Visiteur du futur».

Un cas d’école, un modèle à suivre

Fort de ses 330 000 entrées, le film de François Descraques a démontré que l’industrie cinématographique française était en capacité de produire une œuvre de science-fiction ambitieuse, riche en effets spéciaux, et dans une économie parfaitement maîtrisée, avec un budget de seulement 4,5 millions d’euros. « Je pense qu’une journée de tournage d’Avatar est plus onéreuse que mon film, plaisante le réalisateur. Là où les partenaires ont été sceptiques, ce n’était pas tant sur ma capacité à réaliser un film français de science-fiction, mais à réaliser simplement un film de cinéma alors que j’avais tourné pour internet. Ce qui, pour certains, est pire que d’être issu de l’industrie pornographique. Je voulais faire un film ouvert au plus grand nombre et qui soit conçu pour le grand écran. En cela, la région Grand Est a été un soutien précieux car il nous était impossible de construire des décors d’un univers futuriste dévasté. Aussi, nous avons privilégié de tourner dans des décors existants, comme des usines désaffectées à Uckange. C’est cette culture de la débrouille qui fait la marque des grands films de SF. Des œuvres comme Terminator ou Mad Max ont été tournées avec très peu d’argent. La France peut tout à fait produire cette typologie de films, sans bénéficier de budget record ».

Une « terre de genre »

Au delà du trio auteur-producteur-distributeur, les acteurs intistutionnels aussi ont compris l’enjeu que représente le cinéma de genre français pour le jeune public. C’est notamment le cas de la Région Grand Est qui, avec ses quatre festivals de genre sur son territoire (Gérardmer, Reims Polar, Strasbourg et War on Screen) ainsi que des résidences d’écriture SoFilm, a souhaité se positionner comme « la région du film de genre », en créant notamment un fonds d’aide dédié au film de genre, et en initiant des soutiens aux actions de médiation en salles autour du cinéma de genre comme en témoigne Marie Alix Fourquenay, responsable de l’exploitation en Région Grand Est. « Notre territoire souhaite accompagner les talents du cinéma de genre tant les élus sont convaincus que la reconquête du jeune public passe par de telles actions et que cette typologie de films demeure très prisée des jeunes spectateurs ».

Par ailleurs, les exploitants ont aussi leur rôle à jouer pour initier le jeune public à un cinéma de genre différent comme l’explique Arnaud Toussaint, directeur des Cinés Palace d’Epinal. « Je souhaite faire découvrir à mes jeunes spectateurs un cinéma de genre qu’il n’irait pas voir de prime abord. On trouve une grande diversité de films dans cette typologie de cinéma, du slasher à la dystopie. Pour la faire connaître, c’est à nous d’organiser des animations attrayantes, avec le concours des distributeurs, des producteurs, des réalisateurs, des acteurs, pour attirer les jeunes spectateurs qui ont vocation à devenir des ambassadeurs du cinéma de genre français dont les thématiques de société peuvent générer des échanges de qualité ». En effet, si le cinéma de genre a longtemps été considéré comme du pur divertissement, des œuvres récentes ont démontré sa faculté à porter des discours forts sur des faits de société, du racisme dans Get Out à l’exclusion sociale dans Teddy en passant par la surexploitation agricole dans La Nuée. Pour autant, il peine encore à gagner ses lettres de noblesse auprès de certaines exploitations indépendantes. « Beaucoup d’exploitants sont persuadés que le genre demeure un produit bas de gamme comme on en trouvait dans les années 80, avec des franchises interminables. Or les propositions contemporaines sont désormais très riches de sens et amènent de la réflexion. À commencer par Le Visiteur du Futur qui est une œuvre résolument écologiste » s’enthousiasme Arnaud Toussaint.

Les plateformes en guise d’alternative

Pour Manuel Chiche, si le cinéma de genre français peine, le plus souvent, à exister en salles, c’est aussi « parce que les studios investissent des sommes conséquentes en terme de marketing pour identifier leur franchise et que les indépendants ne peuvent rivaliser avec un tel matraquage ». Si le dirigeant de The Jokers privilégiera toujours la salle pour mettre en valeur un cinéma de genre français de qualité, il n’exclut pas de collaborer avec des plateformes qui ont fait leur preuve pour porter haut des franchises d’action comme Balle Perdue. « Si elles ont fait leur preuve pour développer des projets peu soutenus par les acteurs traditionnels, je crains toutefois que l’aura des auteurs ne soit pas le même sur ce modèle de diffusion ».