L’étude du Collectif 50/50 pointe le manque de diversité dans le cinéma français

8 décembre 2021
A l'occasion de ses Assises, le collectif qui milite pour la parité et la diversité dans le secteur dévoile les premiers résultats d'une étude qui dresse un constat sans appel sur la société telle que représentée par le cinéma français.

"Ce sont des chiffres qui accablent mais qui doivent nous donner la force de continuer nos actions", lance Laurence Lascary, productrice et coprésidente du Collectif 50/50, formé en 2018 pour militer en faveur de la parité et de la diversité dans le cinéma et l’audiovisuel. Le Collectif tenait ses quatrièmes Assises, lundi 6 décembre, l’occasion de dévoiler les premiers éléments de l’étude Cinégalités, qui dresse un état des lieux de l’égalité femmes/hommes et de la place des minorités dans le cinéma français.

Les deux directeurs de l’étude, Maxime Cervulle, professeur de sciences de l’information et de la communication à l’Université Paris 8, et Sarah Lécossais, maîtresse de conférences dans la même discipline à l’Université Sorbonne Paris-Nord, ont travaillé avec leur équipe à partir d’un corpus de 115 films français sortis en 2019 : les 100 films au plus important budget de production, et les 100 films ayant réalisés le plus d’entrées en salle.

Les résultats de l’étude sont éloquents, puisqu’ils montrent une surreprésentation des hommes à l’écran. Alors que les femmes comptent pour 51,9% de la population française, elles ne représentent que 39,7% des personnages à l’écran. Sont comptabilisés par l’étude tous les personnages locuteurs et qui sont présents dans plus de deux scènes d’un film. Les femmes ne représentent même que 38% des personnages principaux.

Cette inégalité n’est toutefois pas la même selon les âges. Ainsi, les garçons dominent chez les héros de moins de 15 ans (ils sont 83% des personnages principaux). Ensuite, la place des femmes s’améliore pour atteindre la parité entre 20 et 34 ans. Après, elle baisse drastiquement. Les femmes ne comptent que pour 12% des rôles principaux entre 50 et 64 ans. C’est le "tunnel de la comédienne de 50 ans", tel que décrit par l’association Actrices & acteurs de France associés, qui a créé une commission sur le sujet en 2015. Après 65 ans, les rôles principaux de femmes redeviennent majoritaires, pour même atteindre 75% chez les 80 ans et plus.

La diversité ethnique est cantonnée à la jeunesse

L’étude Cinégalités s’intéresse aussi à la représentation des minorités ethniques telles qu’elles sont perçues à l’écran. Sur l’ensemble des personnages, 78% sont perçus comme blancs, 9% comme noirs, 9% comme arabes et seulement 2% comme asiatiques, selon les termes employés par l’étude.

Mais elle révèle surtout que cette diversité n’est pas la même selon le genre ou l’âge. "On constate une plus grande diversité des origines perçues parmi les personnages masculins. 22% d’entre eux sont perçus comme non-blanc, contre seulement 17% des personnages de femmes", commente Maxime Cervulle. Alors que 49% des personnages principaux sont des hommes perçus comme blancs, seuls 6% sont des femmes perçues comme non-blanches. "Cela pose évidemment une double question : celle de la place qui leur est accordée dans le récit cinématographique, mais aussi celle des opportunités de rôles pour les actrices qui pourraient les incarner", poursuit le chercheur.

L’étude observe aussi une plus grande diversité ethnique chez les personnages jeunes : 39% des 15 à 20 ans sont perçus comme non-blanc, contre seulement 15% des 50 à 64 ans et 9% des 65 à 79 ans. "La diversité se trouve cantonnée à la jeunesse, et de façon très nette. Plus les personnages sont âgés, plus la part de ceux perçus comme non-blanc régresse", note Maxime Cervulle.

L’étude pointe aussi du doigt la façon dont les délinquants et criminels sont représentés. Ainsi, 14% des personnages montrés à l’écran s’engagent dans des activités illégales ou marginales. Parmi eux, 72% sont des hommes, 40% parlent une langue étrangère et 31% ont un accent étranger. L’étude constate également que 28% des personnages perçus comme musulmans sont montrés comme délinquants ou criminels à l’écran.

La représentation des personnages LGBT est fortement stéréotypée

Les chercheurs font également état d’une surreprésentation des cadres et professions intellectuelles supérieures. Ils représentent 18,6% de la population française, selon l’Insee, mais 51% des personnages principaux dont la catégorie socioprofessionnelle est connue ou pertinente. A l’inverse, alors que les ouvriers représentent 21% de la population, ils ne comptent que pour 4% des personnages principaux.

La population en situation de handicap est également sous-représentée. Alors que 18% des Français sont concernés, seuls 3% des personnages à l’écran sont en situation de handicap. L’autre inégalité dénoncée par le collectif est territoriale. Si 26% des films du corpus étudié se déroulent à Paris, aucun parmi les 115 longs métrages ne se déroule dans un territoire d’Outre-mer.

L’étude s’est également intéressée à l’orientation sexuelle des personnages. Si les hétérosexuels dominent de manière écrasante – ils sont 95% des personnages dont l’orientation est connue – la représentation des personnages LGBT est fortement stéréotypée. "Les bisexuels sont généralement des femmes, toujours perçues comme blanches, souvent cadres et en union libre", résume Maxime Cervulle. "Les homosexuels sont généralement des hommes, perçus comme blancs, tous Parisiens, le plus souvent cadres et célibataires."

Pourtant, la diversité à l’écran est plébiscitée par le public. Les films qui ont réalisé le plus d’entrées en 2019 "se démarquent par une plus grande diversité dans l’origine perçue des personnages", commente Sarah Lécossais. 32% des personnages principaux dans le top 15 des films français de l’année sont perçus comme non-blancs, contre 16% pour l’ensemble des long métrages.

La mixité des équipes de création amène une représentation plus paritaire

Derrière la caméra, la parité est là-aussi loin d’être atteinte. En 2019, 80% des films étaient réalisés par un ou des hommes. Ils étaient 60% à être produit par un ou des hommes et 28% par une équipe mixte, contre 7% par une équipe uniquement féminine. Du côté des scénarios, 88% sont écrits par au moins un homme et 42% par au moins une femme. Les équipes de scénaristes entièrement féminines sont donc rares (11% seulement). Sarah Lécossais note également que "plus il y a de femmes à la production, réalisation, ou écriture, plus la part des personnages féminins augmente. La mixité des équipes de création amène une représentation plus paritaire."

Laurence Lascary, coprésidente du Collectif 50/50, explique que cette étude va servir de base de travail. "Le but est de faire émerger des idées, des solutions, des mesures pour rectifier le tir", affirme-t-elle. Elle appelle également les acteurs institutionnels à s’emparer des chiffres.

Il faut d’ailleurs voir si les actions mises en place depuis 2019 ont permis d’amorcer un changement. Le bonus parité du CNC, qui permet aux films dont l’équipe est paritaire d’augmenter son aide financière de 15%, a pu notamment déjà avoir une influence. Un tiers des films aidés en 2020 a bénéficié de ce bonus.

L’intégralité de l’étude Cinégalités sera mise en ligne fin janvier. Elle adressera également des problématiques comme la fonction parentale dans les films, le partage des tâches domestiques, ou la répartition hommes-femmes dans l’environnement de travail.