Référé Liberté : une victoire à la Pyrrhus du Cinéma

24 décembre 2020
Le Conseil d’Etat, saisi en la forme du référé liberté, a examiné neuf requêtes d’artistes, de syndicats professionnels, d’associations et d’une société de gestion de droits, qui contestaient la mesure annoncée par le Premier Ministre.
Conseil d'Etat

Chacun considérait que cette décision administrative constituait une rupture d’égalité et portait une atteinte grave et manifestement illégale à plusieurs libertés fondamentales dont la liberté d'expression et la liberté de création.

On s’intéressera plus particulièrement à la position défendue par la Fédération Nationale des Cinémas Français, appuyée par la SACD, qui décrit plus particulièrement la situation des salles de cinéma et par extension celle de toute la chaine de valeur d’une industrie fragilisée.

L’impact sur les distributeurs est certain alors même qu’ils ont accepté de réinvestir dans des campagnes de promotion après l’annonce présidentielle d’une fin du second confinement, le 24 novembre dernier. Pour eux, la décision du Premier Ministre semble ignorer la spécificité de l’économie du secteur qui doit pouvoir anticiper les conditions de réouverture des salles, à la fois premier stade d’exploitation des films dont la date de sortie doit pouvoir être déterminée mais également curseur de la valeur des exploitations futures sur les chaines partenaires, à l’international et en VOD. 

De fait, ce report sine die porterait « une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’entreprendre et à la liberté d’expression ». 

Le Conseil d’Etat leur a donné raison en rappelant un principe important selon lequel « la fermeture au public des cinémas, théâtres et salles de spectacle porte une atteinte grave aux libertés fondamentales que constituent la liberté d’expression et la libre communication des idées, la liberté de création artistique, la liberté d’accès aux œuvres culturelles, la liberté d’entreprendre et la liberté du commerce et de l’industrie ainsi que le droit au libre exercice d’une profession ». Il a également rejeté l’argument du gouvernement selon lequel la seule circonstance qu’une partie des activités culturelles puisse demeurer accessible de manière dématérialisée, c’est-à-dire via Internet et au travers de plateformes dédiées, ferait disparaître cette atteinte aux libertés, et cela même alors que les protocoles sanitaires ont été mis en place pour réduire le risque de propagation du virus.

Ainsi, le Conseil d’Etat prend soin de relever que « l’administration ne produit pas d’éléments relatifs à des cas de contamination qui seraient survenus lors de spectacles à l’occasion desquels de tels protocoles sanitaires auraient été mis en place ». C’est la reconnaissance des efforts pris par l’industrie depuis le premier confinement comme le confirme le Conseil scientifique pour qui « le risque de transmission du virus, dans les établissements accueillant les spectacles vivants comme dans les cinémas, est plus faible que pour d’autres événements rassemblant du public en lieu clos, dès lors que de tels protocoles sont effectivement institués et appliqués ». 

Mais le juge administratif s’est appuyé sur les éléments évolutifs de la pandémie pour confirmer que la mesure envisagée par le gouvernement était proportionnée et ne permettait pas de faire prospérer les référés libertés, alors que l’atteinte aux libertés fondamentales (et à un droit à la culture) est reconnue. 

En un considérant très factuel (13), le Conseil d’Etat confirme qu’il est saisi comme le juge de l’évidence. Prenant acte de l’ensemble des circonstances de développement du virus, il justifie le maintien d’une telle interdiction sur l’ensemble du territoire national du fait de données « qui, montrent une dégradation de la situation sanitaire au cours de la période récente à partir d’un plateau épidémique déjà très élevé », données qui pourraient se révéler encore plus préoccupantes au début du mois de janvier. Soulignant « l’absence de perspective d’éradication du virus dans un avenir proche », il invoque également la détection d’un nouveau variant du SARS-CoV-2 au Royaume-Uni, « avec un taux de transmission plus important (…) de nature à accroître l’incertitude ». 

Dans ces conditions de faits, l’illégalité manifeste que constitue la fermeture des cinémas et des salles de spectacle semble s’effacer face à une situation qui semble hors de contrôle. On peut le regretter. 

En tout état de cause, cette décision pose une question de proportionnalité et annonce sans doute de profonds changements dès lors que la réouverture des lieux de culture le 7 janvier prochain est aléatoire.

D’une part, il est légitime de se demander pourquoi une telle mesure s’applique au niveau national alors que lors de la pandémie de grippe espagnole qui sévit en France à l’automne 1918, les mesures restrictives ont été ordonnées territoires par territoire. Ainsi, alors que les cinémas restaient ouverts à Paris, à Lorient, le sous-préfet ordonnait au début du mois d’octobre 1918 la fermeture des cinémas, mesure effective depuis déjà plusieurs semaines dans le département voisin du Finistère. Les marqueurs modérés de développement du virus du SARS-CoV-2 selon les Régions auraient pu peut-être inciter à un traitement différentiel.  

D’autre part, la durée annoncée de fermeture des cinémas fait courir un risque supplémentaire à un secteur de la production et de la distribution cinématographique déjà éprouvé depuis le premier confinement en mars dernier. Il faut rappeler que la grippe espagnole qui avait entrainé la fermeture prolongée de la plupart des cinémas aux Etats-Unis pendant plusieurs mois a provoqué des changements majeurs dans une industrie naissante à Hollywood et plus mature à New-York.

La défaillance des salles indépendantes avait provoqué une perturbation sans précédent dans la fabrication et l’exploitation de films, puis la disparition progressive des producteurs indépendants et la constitution de majors développant sur la Côte Ouest une intégration verticale, de la production des films à leur distribution. 

Le développement accéléré de la consommation des contenus sur les plateformes pendant la pandémie va sans doute précipiter la restructuration d’une industrie qui a hâte de mesurer les effets de la mise en œuvre prochaine de l’Ordonnance du 21 décembre 2020 transposant la Directive SMAD.

Charles Edouard Renault De Gaulle Fleurance

Charles-Edouard Renault
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