De l’eau et débats - L'édito d'Eric Libiot
Venise, sa Mostra, ses canaux et ses déclarations - en attendant celle du palmarès samedi 7 septembre. C’est d’abord une cinquantaine de critiques internationaux présents au Lido qui, le 29 août, s’alarme des rapports avec Hollywood : “La Mostra de Venise vient de commencer et nous savons déjà que de nombreux films présentés en première mondiale au festival cette année n'accorderont aucune interview à la presse. Zéro, que dalle, nada. Cette décision, influencée par les studios américains et soutenue par de nombreux publicistes, met en péril toute une catégorie de journalistes, en particulier les indépendants […]”.
Le film est devenu un produit plus qu’une oeuvre dont il faut contrôler tous les aspects, notamment à sa sortie en salles.
Ce cri du coeur est tout à fait audible, et juste sur le fond, mais il est aussi la conséquence, toujours plus prégnante, d’une politique mise en place il y a plus d’un quart de siècle quand la communication, décidée par les Majors, a pris le pas sur le travail classique de la presse - écrite en général. Le film est alors devenu un produit plus qu’une oeuvre dont il faut contrôler tous les aspects, notamment à sa sortie en salles. D’où les entretiens minutés à la seconde, les conférences de presse avec éléments de langage, l’impossibilité, parfois, de voir un film avant l’interview, etc. Agaçant. Les Studios avaient les cartes en main et décidaient ce qu’ils voulaient. Si la presse s’en offusquait régulièrement, cette politique se faisait aussi au détriment des spectateurs,devenussimples consommateurs et récepteurs de discours promotionnels fabriqués. C’est encore le cas aujourd’hui même si, vu le nombre de demandes émanant de mille supports toujours plus nombreux, le besoin de régulation semble aller de soi. Mais la presse n’est pas innocente dans cette affaire. La majorité d’entre elle a rarement dit non à un entretien calibré de dix minutes (à ce tarif-là, il ne s’y passe jamais rien) pas plus qu’elle n’a refusé de s’entretenir avec un cinéaste à la fin du tournage avec l’obligation de publier l’interview à la sortie du film (en cas de navet, il faut quand même s’y plier). Dire non à toute cette promo réglementée aurait pu donner à la presse un peu (un tout petit peu) de pouvoir. C’est aujourd’hui trop tard et ça ne risque pas de s’améliorer. La solution ? Prendre son bâton de pèlerin, et surtout sa plus belle plume, si on en est capable, pour passer outre ces décisions (critiquables) et réinventer une façon d’écrire sur le cinéma. Les lecteurs, avant d’être spectateurs, seront reconnaissants.
Autre déclaration faite à Venise, qui n’est pas forcément si détachée de la précédente, celle de plusieurs associations de réalisateurs européens, dont l’ARP et la SRF, qui demandent “que la compétence exclusive sur le cinéma et l'audiovisuel soit réattribuée au Commissaire européen à la Culture.” Elle est aujourd’hui dans le giron du “marché intérieur” - technologie, industrie, Autre déclaration faite à Venise, qui n’est pas forcément si détachée de la précédente, défense, espace… Il existe effectivement un commissariat à “l’innovation, la recherche, la culture, l’éducation et jeunesse” et, de fait, le cinéma et l’audiovisuel cochent toutes ces cases-là et un peu moins celle de la défense ou de l’espace. Les cinéastes ont aussi exprimé leur inquiétude sur “la fragilité du règlement AI Act sur la question de la protection des droits des œuvres et de l'utilisation non réglementée d'une technologie par ailleurs révolutionnaire.” Des dossiers dont pourrait s’occuper un prochain gouvernement. Un jour ou l’autre.