Les monteurs face à l'IA : entre avancée et inquiétude
Depuis quelques années, l’intelligence artificielle est intégrée dans les outils de montage, permettant “au monteur de gagner en efficacité”, selon l’étude du CNC sur l’IA publiée en avril 2024. Dans cette perspective-là, l'IA a bien des apports. Elle peut retoucher automatiquement des images, détecter des “cuts”, reconnaître des objets et des personnes, créer des depth maps (cartes de disparité 3D), transcrire des dialogues, monter au texte (à partir d’un document écrit), accéder plus facilement aux rushes. L’IA ouvre également la possibilité de monter dans une langue étrangère grâce aux outils de traduction.
À un niveau plus créatif, l’IA permet de suggérer des plans de coupe ou des effets sonores, maquetter des effets spéciaux, changer le format d’un film, générer des dialogues avec la voix des acteurs, copier-coller des comédiens pour les mettre dans d’autres décors, ou allonger la durée d’un plan. Elle améliore également artificiellement la définition des images, ce qui peut permettre, par exemple, l’utilisation de plans filmés au smartphone.
L’IA peut aussi avoir un impact sur le montage du son, en facilitant le traitement des pistes audio (qualité du son, isolation de sons sur une piste audio, suppression des silences ou des bruits de fond, ducking, synchronisation…), le mixage (harmonisation de l’ensemble des pistes audio) et le mastering (amélioration du rendu final, contrôle qualité…).
Détérioration des conditions de travail
L’impact social de l’IA inquiète grandement la profession. “Nous redoutons que ces nouvelles technologies détériorent nos conditions de travail et nous enlèvent du temps de travail, par exemple pour effectuer le dérushage ou monter une première version, des étapes pourtant cruciales, détaille Julie Depré. Je ne veux pas devenir prompteuse d’une IA qui me proposerait un montage à corriger.” Ces menaces pèsent d’autant plus sur les monteurs des émissions de flux, “où la plus-value artistique est moins essentielle”, et sur les assistants monteurs, chargés notamment de maquetter les VFX, organiser les rushes, pré-monter. “On s’inquiète de voir ces tâches prises en charge par l’IA”, insiste-t-elle.
Côté artistique, Mathilde Muyard, cheffe monteuse, membre des Monteurs associés (La Prisonnière de Bordeaux, Bowling Saturne, L’Atelier…) craint une “standardisation” et un “formatage” des images. Julie Dupré regrette enfin que l’on se préoccupe très peu du lourd impact écologique et des problèmes éthiques - vol des données, non confidentialité, non rémunération des ayant-droits… - que l’IA pose.