Accord et accroc - L'édito d'Eric Libiot
Personne ne sait où (en) sera France Télévisions : holding, groupe privé, confettis, nulle part ou toujours accroché au bastingage public.
On les cherchait, ils étaient rue de Valois, lundi 17 juin, au ministère de la Culture. Des gens heureux, souriants, satisfaits. Ça se fait rare en ce moment. Les raisons de cette colère réjouissance : la signature entre France Télévisions et AnimFrance, le SATEV, le SEDPA, le SPECT, le SPI et l’USPA, d’un accord “d’une durée de trois ans pouvant être portée à cinq par volonté commune des signataires [qui] pérennise l’investissements de 400 M€ par an de France Télévisions dans la création.” Le détail est à lire sur le site d’Écran total mais il est question de 105 M€ dans le documentaire, jusqu’à 37 M€ dans l’animation en 2027, au moins 17 M€ dans le spectacle vivant, 1,5 M€ pour le court-métrage - une première. En contrepartie, FT pourra disposer de “droits 360°” pendant 30 à 42 mois selon son investissement.
Pour éviter la répétition et rendre ce texte plus fleuri, j’allais écrire : “En contrepartie le groupe public…” Mais dans 30 à 42 mois, personne ne sait où (en) sera France Télévisions : holding, groupe privé, confettis, éparpillé au quatre coins de Paris façon puzzle, nulle part ou toujours accroché au bastingage public. Mais on sait à peu près où il est aujourd’hui et toute l’assemblée réunie au ministère se félicitait de cet accord signé avant le 7 juillet, date du second tour des élections législatives et saut dans l’inconnu. Avec l’assentiment de Rachida Dati dont on ne sait pas non plus où elle sera le 8 juillet, mais qui continuait, en marge de cet accord et à qui voulait l’entendre, à vanter les mérites de la holding. On ne pourra pas lui reprocher d’être inconstante. Au moins sur ce dossier-là.
Delphine Ernotte-Cunci, la patronne de FT, a pris la parole pour déclarer que cet accord affirmait “la place de l’audiovisuel public dans la création, place unique et importante de l’audiovisuel public qu’il nous appartiendra de défendre. Une place que ne peut pas occuper l’audiovisuel privé.” Un commentaire officiel qui fut applaudi. Comme ceux des syndicats. Notamment le Sedpa qui souhaitait espérait longue vie à cet accord. Il faut de l’espoir effectivement plus que des souhaits. Car on sentait de l’inquiétude chez les uns et les autres à cause d’une actualité politique plutôt remuante. Une salariée de FT disait sa satisfaction de sentir “les producteurs et les syndicats [détendus] par cet accord pérennisé pour au moins trois ans.” Un autre salarié allait dans le même sens en imaginant “que les syndicats [étaient] rassurés car cela donne de la prévisibilité dans une période où il n’y en pas beaucoup. C’est important". C'est gentil pour eux. Mais ils semblaient abandonnés à leur triste sort même si beaucoup de membres de FT présents se réconfortaient en se disant “qu'il y a trop de garde-fous pour que la privatisation se fasse si le RN arrive au pouvoir."
Jordan Bardella, l’a pourtant dit et redit : "il y aura privatisation de l'audiovisuel public" reconnaissant tout de même qu’une telle réforme “ne se fait pas en 24 heures.” Monsieur a le sens du timing. C’est tout de même étrange cette absence totale d’ambition culturelle, au sens large - pas un mot dans le programme RN - et cette volonté affichée de briser le service public par souci artistique de vengeance idéologique...