La culture à la peine - L'édito d'Eric Libiot
Vive la holding de l’audiovisuel ! Il ne faut pas le crier trop fort mais on en est là… On aurait aimé des débats enflammés, des prises de position intelligentes, des arguments de haute volée, des engouements poétiques, des avis colorés, des enthousiasmes emballants… Et peut-être aurait-on finalement applaudi Rachida Dati après sa flamboyante allocution à l’Assemblée nationale, salué Rima Abdul-Malak pour sa tribune brillamment écrite ou congratulé les députés venus dans les travées avec une banderole ventant les mérites du service public de l’audio-visuel. Au lieu de ça, qui auraient pu redonner un peu d’éclat à la politique, les machettes et le bazooka sont de sortie.
Lundi 10 juin, Sébastien Chenu, porte-parole du Rassemblement National, déclarait au micro d’Apolline de Malherbe, sur RMC et BFMTV, qu’arrivé au pouvoir le gouvernement RN “privatiserait l’audiovisuel public”, notamment Radio France et France Télévisions. Radical. Expédié. Et paf - si l’on peut dire. Cette proposition est inscrite dans le programme présidentiel 2022 de Marine Le Pen : c’est la mesure 6, sur 22, qui, dans un même élan, et dans une même phrase, “renationalise les autoroutes” et “privatise l’audiovisuel” sans qu’on mesure bien le rapport entre l’un et l’autre. C’est tout pour la culture, la télé ou le cinéma.
Dans le programme du RN, il est surtout question de restaurer les châteaux et pas du tout le Napoléon d'Abel Gance
Pour plus de détails, il vaut mieux aller lire les « livrets thématiques » du RN, au nombre de dix-sept, qui, cette fois, explorent tous les sujets en long en large et de travers : l’école, la santé, les jeunes, le numérique, la protection des animaux… et donc la culture. Beau programme assurément dont cette proposition consistant à “atteindre 80% de produits agricoles français dans les cantines”. C’est notre cinéma qui va être content d’être à ce point honoré ; 80 % de films français dans les salles, ce n’est pas rien… Autre proposition : « Faciliter le stockage de l’eau »; très bien aussi pour étancher sa soif pendant une projection. J’ai commencé à m’essuyer les lunettes lorsque j’ai lu « Pas d’interdiction de produits phytosanitaires existant sans alternatives efficaces » quand je pensais qu‘il s’agissait de réglementer la confiserie dans les salles.
J’ai donc tout repris à zéro, chiffre que je n’avais pas vraiment dépassé à vrai dire, et je me suis rendu compte que ce “livret thématique” était consacré à l’agriculture. C’est ballot de ma part. En fait, il n’y a rien sur la culture sauf un livret sur le “patrimoine„ où il est surtout question des restaurer les châteaux et pas du tout le Napoléon d’Abel Gance. Rien sur les droits d’auteur, l’exception culturelle, les engagements de l’Etat, le CNC, l’aide aux cinéma du monde (et puis quoi encore), le soutien à la création…
Le Rien National ne rassemble pas grand chose finalement. Quant à toutes les propositions de lois déposées sur le bureau de l’Assemblée, elle sont aujourd’hui à la poubelle. Si les nouveaux députés souhaitent les remettre en débats, il faut tout recommencer du début. Autant dire que la holding de l’audiovisuel est mal partie. Voire totalement enterrée. C’est dommage. Pour sortir du cauchemar, j’en aurais bien rêvé.