Mots nouveaux, maux anciens - L'édito cannois d'Eric Libiot

19 mai 2024
En direct du Festival de Cannes, Eric Libiot, rédacteur en chef d'Ecran total revient sur l'actualité mouvementé de la maniofestation.
Edito Libiot Cannes 3 (c) Pierre Abouchahla

Et pendant ce temps-là, Justine Triet entrait dans le Petit Robert. Il n’est pas question ici d’un quelconque accident de la circulation mais d’un dictionnaire. La réalisatrice palmée d’or pour Anatomie d’une chute fait ses premiers pas dans l’édition 2025, en librairie depuis le 16 mai. La nouvelle est heureuse à l’heure où le festival de Cannes continue de dérouler son tapis rouge. Thomas Joly, metteur en scène de théâtre et grand ordonnateur de la cérémonie d’ouverture des J.O., qui aura lieu ici ou là selon les plans A, B ou C, fait lui aussi partie des nouveaux entrants. Avec Anne Poirier, sculptrice et architecte. Les artistes français sont à l’honneur.

Tous les films présentés à Cannes, quels que soient leurs partis pris esthétiques et leur économie, reflètent, à leur échelle, l’époque qui nous entoure.

Et pendant ce temps-là, le cinéaste iranien Mohammad Rasoulof était condamné à huit ans de prison dont cinq applicables par un tribunal iranien pour “collusion contre la sécurité nationale”, annonçait son avocat mercredi 8 mai. Le jugement comprend également coups de fouet, amende et confiscation des biens du cinéaste. Lundi 13, Mohammad Rasoulof déclarait avoir fui l’Iran et être arrivé en Europe. La nouvelle est encore plus heureuse. Vendredi 24 sera présenté en compétition son nouveau (très beau) film, Les graines du figuier sauvage, qui se déroule pendant les manifestations “Femmes, vie, liberté”. Une fiction. Mais on peine à écrire ce mot tant l’univers du cinéaste s’inscrit dans le mouvement de la réalité politique de son pays. Il sera peut- être à Cannes mais une présence en visio serait sans doute plus prudent.

Justine Triet honorée, Mohammad Rasoulof condamné. Ce rapprochement est bien sûr uniquement dû à une coïncidence temporelle : parution d’un dictionnaire ici, scandaleux jugement d’un autre âge là-bas. Et pourtant. Ils sont tous les deux cinéastes, sélectionnés à Cannes, plus grande vitrine du cinéma du monde. Justine Triet a été vue à la Semaine de la critique (La Bataille de Solférino) avant d’arriver en compétition officielle. Mohammad Rasoulof, lui, est passé par la Quinzaine des réalisateurs (La Vie sur l’eau) avant d’être programmé au Certain regard et d’accéder à la compétition de la circulation mais d’un dictionnaire. La réalisatrice palmée d’or pour Anatomie d’une chute fait ses premiers pas dans l’édition 2025, en librairie depuis le 16 mai. La nouvelle est heureuse à l’heure où le festival de Cannes continue de dérouler son tapis rouge. Thomas Joly, metteur en scène de théâtre et grand ordonnateur de la cette année. Leur présence, comme celle d’autres cinéastes qui se battent dans leur pays pour s’exprimer, est primordiale. La France s’enorgueillit d’être le “pays des artistes” et c’est très bien ainsi même si tout le monde n’est pas forcément logé à la même enseigne de la liberté d’expression. Mais son rôle en tête du peloton lui donne des responsabilités. Notamment dans la défense de l’exception culturelle, du droit d’auteur et de la lutte contres les monopoles en tous genres.Ce lien entre Justine Triet et Mohammad Rasoulof, qui n’aurait pu se faire que sur le terrain artistique, se place au centre d’un combat politique et citoyen. Tous les films présentés à Cannes, quels que soient les sections qui les accueillent, quels que soient leur genre, leurs partis pris esthétiques, leur économie, reflètent, à leur échelle, l’époque qui nous entoure. Elle ne va pas très bien et chaque jour nous le rappelle. Celles et ceux qui entreront dans une salle de cinéma pendant cette quinzaine souhaiteront peut- être oublier un temps la fureur du monde. Ce ne sera pas possible.

Si Mohammad Rasoulof ne gagne pas la palme d’or cette année, il faut souhaiter qu’il continue de réaliser des films et qu’il entre au dictionnaire l’année prochaine.