Écrans à cran - L'édito d'Eric Libiot

2 mai 2024
Eric Libiot, rédacteur en chef d'Ecran total, livre son point de vue sur la semaine écoulée et sur les enjeux de celles à venir.
Les Ecrans pour le nuls - L'edito d'Eric Libiot (c) Pierre Abouchahla

Ça fuse et ça infuse. Tirs à boulets rouges d’un côté, études factuelles de l’autre. Et des questions partout. À quelques jours de l’ouverture du festival de Cannes, là où les films sont projetés sur l’un des plus beaux écrans du monde, les écrans, justement, sont au centre de toutes les attentions. Et des polémiques. Les jeunes, les moins jeunes, et sans doute les autres, s’y usent les yeux, les doigts, les neurones et pourquoi pas le cerveau en entier. Le président de la République s’en est inquiété et, en janvier, il commandait un rapport à quelques experts chargés d’évaluer « le bon usage des écrans pour nos enfants » à l’école et dans les familles.

55,9% des 15-24 ans, contre 37,5% pour l’ensemble de la population, se rendent tous les jours sur des sites et applications de vidéo et cinéma

Ce rapport a été remis à Emmanuel Macron mardi 30 avril et les conclusions, pour n’être ni définitives ni comminatoires, enfoncent le clou là où ça fait mal (le pouce en général) : « interdiction des écrans avant 3 ans », « utilisation d’un téléphone simple à partir de 11 ans », « utilisation d’un smartphone sans accès aux réseaux sociaux à partir de 13 ans », « libre accès à partir de 15 ans ». Quant à la ministre de l’Éducation nationale, Nicole Belloubet, elle lançait l’idée, mardi sur France Inter, que « les portables puissent être déposés à l’entrée et qu’ils ne circulent pas dans les collèges. C’est matériellement possible ». L’État s’occupe de tout, nous voilà rassurés.

Ce même mardi 30 avril - grosse journée avant le 1er mai - Médiamétrie publiait dans son « Audience le mag » les chiffres de janvier 2024 sur les pratiques des médias des 15-24 ans - 8 millions de personnes. Sans surprise, les jeunes sont technophiles, hyperconnectés, individuels et nomades. 55,9% d’entre eux, contre 37,5% pour l’ensemble de la population, se rendent tous les jours sur des sites et applications de vidéo et cinéma. Autre chiffre : 54% ont un contact quotidien avec la télévision et 10% de cette consommation se fait sur les écrans digitaux à domicile - ordinateurs, smartphones, tablettes. Quant à la lecture en ligne, 20,2% des 15-24 ont consulté des sites ad hoc.

Comment ça la lecture? Les jeunes lisent donc ? Première nouvelle alors que tous les moins jeunes, barbe blanche, cheveux gris ou pas, dénoncent une déculturation des nouvelles générations.

Ces chiffres sur la lecture sont à mettre en regard d’une étude publiée en novembre 2023 par le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc) : « le numérique ne détourne par les jeunes de l’écriture ». Ne soyons pas naïf : pas sûr que ces garçons et ces filles se plongent dans la lecture Martin Eden de Jack London sur leur écran, regardent La règle du jeu de Renoir ou entament un roman. 

Pas sûr ? Qu’est-ce qu’on en sait après tout ? Qu’il faille réguler, conditionner ou limiter la pratique des écrans aux nourrissons, d’accord. Mais il n’est jamais question de savoir ce qu’on met dans les tuyaux digitaux. Les professionnels du cinéma et de l’audiovisuel savent pertinemment que leur (futur) public se trouve devant ces écrans et qu’il faut que leur offre soit aussi riche que pertinente. Et sûrement très différente selon la taille des écrans. Mais les politiques, voire les pouvoirs publics, mettent rarement ce dossier-là sur la table. Puisque la France est championne du monde de l’exception culturelle et du soutien à ses artistes, elle doit, plus encore, aider à produire des nouveaux formats, des nouvelles formes, des nouvelles histoires. Ce serait très smart de sa part.