Du polar à tous les étages - L'édito d'Eric Libiot

10 avril 2024
Eric Libiot, rédacteur en chef d'Ecran total, livre son point de vue sur la semaine écoulée et sur les enjeux de celles à venir.
L'Edito d'Eric Libiot - Quai du Polar - (c) Pierre Abouchahla

Avec 100 000 visiteurs et 135 (!) auteurs invités, cette 20ème édition de Quais du polar de Lyon a été un succès. Quasi un triomphe. Et le communiqué final enfonce le clou : “les libraires, issus de la Ville et de la Métropole de Lyon et de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, annoncent plus de 330 000 € de chiffre d’affaires sur les trois jours, soit une augmentation de 15% !” Mieux que la fréquentation en salles du premier trimestre ou que les audiences de The Voice.

Si le polar fait un carton en librairies, il est un peu délaissé par le cinéma en ce moment après avoir connu des époques florissantes (années 1960-1980), mais il se porte mieux à la télévision. C’est même un genre qui, chaque semaine, fait grimper les scores des chaînes qui en diffusent. Pourtant, France Télévisions, comme Écran total l’a écrit, fait le tri dans ses cases polar pour, à moyen terme, réduire la voilure. Le téléspectateur se lasserait. Ou plutôt il aurait aussi envie de plus de comédies, de plus de drames, d’histoires d’amour et de faits divers. C’est possible. Le service public se voudrait plus éclectique. D’accord. C’est peut-être aussi une façon de répondre à la charge de TF1 et de M6 qui reprochent depuis plusieurs mois à France Télévisions de marcher sur leurs platebandes et de s’éloigner de sa “mission de service public.” Si c’est le cas, la réponse de FTV n’est pas la bonne. Elle est même à côté de la plaque.

Le public aime le polar mais lui en proposer ne serait pas lui rendre service. Voilà une étrange position. Le privé serait donc le seul secteur à pouvoir raconter la vie florissante des serial-killers, les mille façons de manier le poignard et l’art d’asticoter le flingue. L’histoire se répète : cette position rappelle des temps plus sombres, l’époque où le genre littéraire était méprisé et renvoyé à ses études de romans de gare. Les esprits pensants n’y voyaient que de la sous-culture. L’intelligence a fini par gagner grâce à la qualité des romanciers : Thompson, Manchette, Hammett, Syreigeol, Harris, Ellroy, Le Corre et mille autres polardeux, jusqu’à Nicolas Mathieu, auteur d’Aux animaux la guerre, à la fois roman noir et roman social, plus tard prix Goncourt avec Leurs enfants après eux.

Le privé se plante s’il demande au service public d’aller voir ailleurs : sans concurrence, il rabaissera forcément la qualité de ses productions. Le service public se plante s’il délaisse volontairement un genre qui sait mieux qu’un autre parler du monde qui ne tourne pas droit. Il faut sans doute mieux partager. Il faut sûrement rehausser le niveau des séries et des téléfilms.

Aux Quais du polar, des producteurs arpentaient aussi les travées de la manifestation à la recherche de romans et/ou de romanciers, un prix polar en série a été décerné (Skilled Fast de Hachin, éditions Nouvelle Hydre) et la Société civile des éditeurs de langue française (Scelf) est venue présenter son étude sur les adaptations littéraires, en particulier sur les romans policiers. Elles sont nombreuses. Elles pourraient l’être davantage. Les romanciers ont beau être des animaux solitaires qui souvent se plaignent des mœurs du cinéma et de la télé, il faudrait travailler à améliorer les relations entre ces mondes aux liens certains mais qui se regardent trop souvent de travers. Il fut un temps où Raymond Chandler adaptait Patricia Highsmith pour Alfred Hitchcock. Résultat : L’Inconnu du Nord-Express. Pas si mal…