Cet obscur objet du désir - L'édito d'Eric Libiot

3 avril 2024
Eric Libiot, rédacteur en chef d'Ecran total, livre son point de vue sur la semaine écoulée et sur les enjeux de celles à venir.
Cet obscur objet du désir - Edito - (c) Pierre Abouchahla

Cette année, le Printemps du cinéma s'est pris une douche froide. Glacée même. Frigorifique. Avec 1,7 million de spectateurs en trois jours (de mars), c’est le plus mauvais score depuis… 2000, date de la création de la manifestation. La Fédération des cinémas explique cette déroute par le manque de films attractifs. Problème conjoncturel donc. Pas d’envie, pas de chocolat. Et pas d’entrées. L’explication peut tenir. L’ambiance actuelle n’est pas au beau fixe, ni aux éclaircies printanières. Et l’hiver n’a pas été plus chaud : pendant le premier trimestre, la fréquentation des salles a souffert (- 10% par rapport à 2023) même si sur l’année glissante (avril 2023-mars 2024), la reprise s’affiche à + 7,2%.

De toute manière, on a beau tourner ces chiffres de la fréquentation dans tous les sens, bons ou mauvais, l’analyse qu’on en fait n’est jamais uniquement conjoncturelle ni jamais seulement structurelle. Chacun trouvera de quoi râler et/ou de quoi se féliciter. Ce film aurait dû mais celui-là aussi alors que l’autre beaucoup moins. Il fallait sortir un autre jour, avant les vacances, pendant la guerre, après l’été, peut-être un dimanche matin ou un samedi soir, à moins que la qualité du film y soit pour quelque chose, va savoir, ou la mauvaise promotion, ou la méchante presse, ou les plateformes pas chères.

Il y a toujours milles raison à l'échec ou au succès. Et aucune n'est satisfaisante ni raisonnable. Je ne suis même pas sûr qu’il faille en chercher d’ailleurs. Les résultats des films ne se prêtent à au- cune explication valable parce que, justement, ce sont des films. Des trucs bizarres. Des machins uniques. Des bidules troublants. Déjà, La sortie de l’usine Lumière à Lyon, en 1895, était bien chelou. Des ouvrières, quelques hommes, une carriole à cheval, un chien et un type à vélo qui s’échappent hors-cadre (fixe). Et depuis, ça n’a pas arrêté. Un film n’est rien d’autre que ce qu’il est et personne ne sait l’effet qu’il va faire dans l’esprit des spectateurs. C’est très bien ainsi et il faut que ça continue.

Un film est, au final, tout seul à se défendre. Il faut le protéger au maximum du mauvais temps mais c’est lui qui fait le boulot. Les artistes savent bien qu’ils ont entre les mains un obscur objet du désir qui leur échappe. Mais ils y retournent, encore et toujours. Les chiffres de la production 2023 dévoilés par le CNC le disent : les producteurs continuent à y croire ; avec 298 films agrées, la profession retrouve des couleurs et les chiffres d’avant-crise pandémique. Il faut espérer qu’ils soient tous réussis mais il ne le seront pas. Le printemps peut continuer à se faire du mouron. Tant pis. Le jour d’une météo des salles toujours au beau fixe viendra peut-être. Mais il faut d’abord laisser du temps et temps.

Parce que l’autre côté de l’autre écran, il y a de l’accélération dans l’air. Médiamétrie vient de révéler ses chiffres de mars : BFM TV et CNews ont obtenu chacune 2,7% de part d’audience. La chaîne de Vincent Bolloré rattrape donc celle qui va bientôt, avant l’été sans doute, tomber dans le panier de Rodolphe Saadé. La guerre est déjà déclarée et il n’y aura aucun répit. On peut imaginer les deux rédactions en train de réarmer la rentrée. Ça va aller vite et ce ne sera pas du cinéma. Mais qui sait s’il n’y a pas là un bon sujet de film.