La culture par tous les temps - L'édito d'Eric Libiot

17 janvier 2024
Eric Libiot, rédacteur en chef d'Ecran total, livre son point de vue sur la semaine écoulée et sur les enjeux de celles à venir.
Eric Libiot, rédacteur en chef d'Ecran total, livre son point de vue sur la semaine écoulée et sur les enjeux de celles à venir.

Ouf. On respire. Les choses sont à leur place. Avec la nomination de Rachida Dati rue de Valois, Emmanuel Macron montre qu’il ne s’intéresse toujours pas à la culture. Le contraire eut été perturbant. Les commentateurs sont unanimes : Rachida Dati ministre de la culture, c’est un “formidable coup politique”. C’est vrai. Personne ne s’y attendait. Pas même l’intéressée peut-être, qui avoue dans un entretien accordé au Parisien dimanche, que sa nomination “s’est décidée très rapidement et à la dernière minute.”

La culture doit-elle être réduite à un coup politique ? Non évidemment. Ce qui prouve, par défaut, la place qui lui est accordée. A savoir sous les ors d’un bureau, simple sujet de discussion visant à alimenter le buzz. Mais là encore, les choses sont claires : notre nouvelle ministre de la culture annonce rester maire du VIIème arrondissement et viser l’Hôtel de ville de la capitale en 2026. Au mieux, elle quittera le ministère dans deux ans. Au plus tôt : bientôt.

La culture doit-elle être réduite à du court terme? Non évidemment. Mais c’est la mode en France, tous bords politiques confondus. Parlant couleur politique d’ailleurs, il n’est pas incongru qu’une femme de droite soit ministre d’un gouvernement de droite et il n’est pas question d’un “mépris de classe” quand il s’agit de s’étonner de la présence de Rachida Dati rue de Valois. Plutôt de se demander où et quand ont été prononcés ses discours sur ses ambitions culturelles. Mais j’attends ses premières mesures sans (trop) d'a priori. Sincèrement. Je sais la culture à ce point nécessaire pour me réjouir d’un fiasco.

“ L’accès à la culture pour tous.” Ce sont systématiquement les premiers mots d’un/e ministre qui servent à emballer un discours passepartout. Ça ne mange pas de pain. Et renvoie dans ses cordes, la soit-disante élite culturelle qui ne jure que par Pierre Boulez, Jean-Luc Godard ou James Joyce. La formule est tout de même méprisante pour ce “peuple” juste capable de s’encanailler avec Gaston Lagaffe ou Didier Bourdon. C’est aussi méprisant pour cette élite d’ailleurs, qui a pourtant le droit de détester un film d’Apichatpong Weerasethakul.

Par contre, toute la culture pour tous, oui. Les fugues de Jean-Sébastien Bach ne sont pas plus difficiles à écouter que les partitions de John Williams ou celles de Michel Legrand - le principe des mêmes thèmes renouvelés leur est d’ailleurs commun. Élitisme ou populaire ? Je peux m’ennuyer en regardant un film de Godard (les derniers surtout) mais tout autant, et parfois plus, devant l'œuvre d’Alexandre Arcady. Élitisme ou populaire ? Lire Mallarmé me demande un effort, tenir les livres d’Harlan Coben pour qu’ils ne me tombent pas des mains aussi. Élitisme ou populaire ? Les batailles d’Alexandre Nevski d’Eisenstein sont plus rapides à regarder que les bastons des super-héros en slip et donnent moins mal à la tête. Élitisme ou populaire ?

Toute la culture pour tous, tout le temps et par tous les temps. Il n’y a aucune obligation à aimer x plutôt qu’y (j’arrête de citer des noms) ; il y en a une à connaître x et y. La culture ne se décide pas dans les universités pour les uns, ni dans la rue pour les autres. La culture c’est une envie, un spectacle, un lieu de réflexion, de l’humour et de la surchauffe neuronale. Surtout, la culture doit se mêler de ce qui ne la regarde pas. Mince, c’est ce qu’aime la nouvelle ministre. On n’est pas sorti de l’auberge.