Présidentielle : où est passée la culture ?

23 mars 2022
Alors que la campagne pour l’élection à la Présidence de la République a été sérieusement obscurcie par la crise sanitaire et la guerre en Ukraine, aucun(e) candidat(e) n’a encore dévoilé un projet culturel digne du pays des Lumières, à l’exception de Valérie Pecresse qui a tenu lundi une conférence de presse sur le sujet

Les candidats à l’élection présidentielle auront toujours la possibilité de se réfugier derrière la guerre en Ukraine ou la crise sanitaire et sociale pour justifier le peu de place qu’occupe la culture dans la présentation de leur projet pour la France. Une excuse qui sera néanmoins insuffisante alors qu’en décembre dernier, la culture n’était pas davantage mentionnée dans les programmes des uns et des autres, alors que le Covid faisait rage depuis vingt mois, et que Poutine n’avait encore abattu ni ses cartes, ni ses obus. Un comble pour le pays qui a inventé le 7ème Art et dont l’industrie culturelle (édition, médias, audiovisuel, cinéma, musées) pèse davantage dans le PIB que l’industrie automobile. La faute, peut-être, à une vision trop élitiste et privilégiée de la culture ?

Et pourtant, le gouvernement aura été plus que jamais au rendez-vous au cours des derniers mois pour porter secours à un secteur culturel en péril et qui a bénéficié de plus de neuf milliards d’euros d’aides. Soit plus que n’importe quel autre secteur. La culture a ainsi démontré la puissance de ses lobbies, notamment celui des salles de cinéma. Mais le versement de tant d’argent public constitue t-il une politique culturelle en soi ? Combien d’acteurs de l’industrie cinématographique ont dénoncé dans nos colonnes le fait que le gouvernement n’avait « que payer » sans jamais s’interroger sur la redéfinition d’un modèle culturel français ambitieux. Dans ce contexte, quand peut-on espérer revoir des projets aussi audacieux portés en leur temps par des férus de culture comme François Mitterrand, Jack Lang ou Jacques Chirac ? Alors la culture intéresse t-elle vraiment nos candidats ? Est-elle véritablement au cœur du projet de société à (ré)inventer ? Sans remettre en cause le bien-fondé des questions économiques et sociales, nous sommes en droit d’en douter. Encore récemment, à l’occasion de sa première réunion publique à Poissy (Yvelines), le Président sortant, Emmanuel Macron, annoncé comme large vainqueur par tous les instituts de sondage, a fait part de sa volonté de supprimer la redevance audiovisuelle. Une suppression qu’il juge cohérente avec celle de la taxe d’habitation. Une mesure qui n’a pas manqué de refroidir tous les professionnels du secteur qui sont légitimement en droit de se demander comment l’indépendance de la création sera désormais protégée. Selon l’équipe de campagne du chef de l’État, la piste d’un budget, voté pour cinq ans, devant financer l’audiovisuel public serait à l’étude. Par la suite, lors de sa conférence de presse du 17 mars où il annonçait son programme en détail, le Président de la République n’a présenté aucune mesure phare pour le secteur culturel. Tout au plus, pour ce qui concerne les médias, Emmanuel Macron a avancé l’idée de défendre des « États généraux pour l’information en Europe pour y développer une information libre et indépendante ».

L’extrême droite veut privatiser l’audiovisuel public

Nos confrères de Ouest France ont recensés les grandes lignes des programmes culturels de chaque candidat. Ainsi, celle qui s’annonce comme la plus probable opposante au chef de l’État en vue du second tour, Marine Le Pen, n’a donné aucune place à la culture dans son projet Tout au plus, elle souhaite, elle aussi, supprimer la redevance audiovisuelle et a annoncé vouloir privatiser l’audiovisuel public, hormis Arte, les rédactions d’outre-mer et l’INA. Une mesure qui reste l’un des fers de lance de tous les partis d’extrême droite et dont Éric Zemmour a également fait sienne. Même si le candidat du parti Reconquête souhaite préserver Franceinfo, France Média Monde et TV5 Monde afin de « porter la voix de la France » sur la scène internationale. Passionné par l’histoire de France, l’ex chroniqueur de CNews entend également protéger le patrimoine historique et culturel du pays en sensibilisant la jeunesse à la restauration dudit patrimoine.

Pécresse monte au front

Apparemment concernée par les questions culturelles, la Présidente de la Région Île-de-France, Valérie Pécresse, s’avère être la seule candidate à avoir tenue une conférence de presse pour défendre son projet culturel qu’elle souhaite étendre sur tout le territoire et auprès de toutes les générations. Pour ce faire, la candidate des Républicains compte établir le budget du Ministère de la Culture autour de 4 milliards d’euros par an. Fervente défenseuse du cinéma, comme en témoigne le fait que la Région Île-de-France demeure la plus ambitieuse en terme de soutien et d’accueil des tournages, Valérie Pécresse entend remettre le 7ème Art au centre de l’éducation artistique et culturelle dès l’école. La lutte contre le piratage sera aussi renforcée. La candidate LR a également annoncé vouloir baisser la TVA sur les produits culturels (concerts, musées, monuments), simplifier les aides au cinéma et soutenir une filière industrielle de studios de tournage. Un plan d’investissement de 2,5 milliards d’euros devra permettre de sauver le patrimoine national et de rénover les musées régionaux.

Promotion de la langue française

De son côté, en plus de renforcer la protection du patrimoine français, Nicolas Dupont-Aignan souhaite pour sa part assurer la promotion de la langue française pour que celle-ci soit davantage utilisée dans les organisations internationales telles que l’ONU ou l’Unesco. Le candidat de Debout la France a aussi affirmé son opposition à l’écriture inclusive qu’il compte interdire.

Préservation du patrimoine

En progrès dans les sondages depuis plusieurs semaines, Jean-Luc Mélenchon a proposé de porter le budget consacré à l’Art, la culture et la création à 1% du produit intérieur brut par an. Le candidat de la France Insoumise compte accompagner les collectivités territoriales en vue de la création d’une dynamique culturelle locale ; rendre gratuit l’accès à tous les musées ; revaloriser l’éducation artistique à l’école ; développer les conservatoires, l’éducation populaire et la place de la culture dans les comités d’entreprise. Sans oublier d’abolir les privilèges fiscaux liés au mécénat culturel ; d’améliorer le régime des intermittents du spectacle ; de créer un Centre national des artistes-auteurs et d’élire au Parlement les Présidents de France Télévisions et de Radio France.

Développer l'éducation artistique

À la peine dans les intentions de vote, Anne Hidalgo compte demander à l’ensemble des institutions financées majoritairement par l’argent public de reverser 10% de leur programmation à la nouvelle création. La candidate socialiste propose également de développer un programme majeur d’éducation artistique à l’école ou encore de créer une forme d’Erasmus culturel pour permettre une plus grande circulation des jeunes artistes et étudiants en art partout en Europe. Sans oublier de renforcer le développement des médiathèques publiques ainsi que le service public de l’audiovisuel et la contribution des Français à son fonctionnement. Le politique culturelle de l’actuelle Maire de Paris s’articulera aussi autour de la préservation et de la valorisation du patrimoine national.

Transition écologique du secteur

L’un des chapitres du programme présidentiel de Yannick Jadot s’intitule « La culture, créatrice des imaginaires de demain ». Le candidat écologiste y évoque l’augmentation d’un milliard d’euros par an du budget du Ministère de la Culture. Un quart de ce budget serait dédié à la création. La transition écologique du secteur culturel sera assurée tandis qu’une mission « Culture et numérique » permettra de défendre le droit d’auteur et que le projet de la « taxe Google » sera relancé afin de faire participer les grands groupes d’internet au financement des contenus en ligne. Ont aussi été annoncés  un plan de soutien aux pratiques culturelles et artistiques ainsi que le développement de tiers-lieux à vocation culturelle.

Défendre la liberté de création

Le candidat communiste Fabien Roussel initiera la création d’un grand Ministère de la Culture, de l’Éducation Populaire et des Médias et renforcera la défense de la liberté de création et le soutien aux métiers des arts et de la culture.

Concernant Nathalie Arthaud, la candidate de Lutte Ouvrière n’a dévoilé aucune mesure en faveur de la culture. Tout au plus a t-elle déclarée à Franceinfo vouloir consacrer l’argent public au développement de bibliothèques ; à l’éveil à la culture scientifique ; à une meilleur accessibilité aux salles de cinéma ou de théâtre par la mise en place de prix plus abordables et au recrutement dans l’éducation pour sensibiliser les enfants, dès le plus jeune âge, à tous les domaines artistiques et culturels.

Revaloriser les intermittents

Représentant du mouvement Résistons, Jean Lassalle compte orienter les financements publics vers la création indépendante et créer un fonds dédié pour subventionner les lieux culturels qui facilitent leur accès aux plus défavorisés. Sans oublier de revaloriser le statut et le salaire des intermittents du spectacle.

Enfin, Philippe Poutou concentre majoritairement ses propositions sur les médias. Le candidat du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) compte démanteler l’Arcom et créer un organisme démocratique associant journalistes, salariés et usagers des médias. Il souhaite la refonte du système des aides à la presse et prône un plan d’aide aux médias associatifs non lucratifs ainsi que le développement d’un véritable service public de l’information et de la culture. Tout en garantissant la rémunération des intermittents du spectacle au moins égale au Smic ; la défense des langues et cultures régionales et la promotion des cultures minoritaires ou extra-occidentales.