La parole est au cinéma - l'édito cannois d'Eric Libiot
Il serait étonnant que Robert de Niro, anti-trumpiste notoire et parfois virulent, à qui le festival de Cannes remet une Palme d’or d’honneur (méritée) lors de la cérémonie d’ouverture, s’en tienne aux remerciements d’usage et ne dise pas un mot sur son cher Président. D’autant que le locataire - et non propriétaire - de la Maison Blanche s’en est pris au cinéma la semaine dernière. Sujet qu’il connaît apparement fort peu, ce qui ne l’a pas empêché de relayer le discours des lobbys professionnels américains qui râlent contre l’exception culturelle européenne. Et un peu plus fort que d’habitude, ce qui devrait, on l’espère, pousser l’UE à répondre.
Si j’étais Bob, je saluerais plutôt le pays du cinéma, en lieu et place de la famille, qui, tout petit déjà, a grandi en affichant sur grand écran les singularités de chacun afin de nourrir l’altérité nécessaire à la bonne marche universelle. Ça fait une peu consensuel, c’est vrai, limite pâte à chou, mais dans un tel moment il faut savoir revenir aux fondamentaux et dire tout haut ce que Trump ne pense même pas tout bas. Cela dit, je ne suis pas Bob et les mots qu’il prononcera seront les siens. Mais je sens bien la petite pique du gars qui se demande si Trump « is talking to him. »
Elle serait en fait bienvenue. Le festival de Cannes, on le sait depuis des millénaires, n’est pas fait que de tapis rouge et de ciel bleu - quel jour va-t-il pleuvoir cette année ? Artistiquement, il donne des nouvelles du monde en présentant les films d’ici et de là. Professionnellement, il offre au secteur l’occasion de donner de la voix en organisant tables rondes, rencontres et speed-pitching (un nouveau concept de résumés encore plus rapides qui conviendrait d’inventer vu la vitesse du temps cannois qui passe).
C’est dire si Cannes, comme toutes les autres manifestations de la même étoffe, mais lui davantage puisque qu’il est n°1, est un festival politique. Au sens large. Et citoyen. Il n’est pas besoin de brûlots ni de tracts pour faire état des mouvements du monde. De ce qui le ronge, de ce qui le nourrit, de ce qui le fait sourire, de ce qui le fait espérer. Même le grand spectacle, qui d’habille de romanesque en chaussant les pompes du divertissement, raconte ce qu’il voit de l’humanité. Il a d’ailleurs aussi le droit d’être ennuyeux. Ou raté. Comme les autres, au spectacle plus réduit, qui parfois se drapent dans une posture qu’il est de bon ton de trouver intéressante.
Tous ces films cannois venus d’une trentaine de pays dessinent la carte du cru et du cuit sans qu’on ait forcément besoin de les juger pour l’instant, même si c’est le sport national ici-bas. Ce sera surtout le rôle du jury présidé par Juliette Binoche. Quant à l’appétence du public pour toutes ces oeuvres, on verra plus tard. Laissons d’abord s’exprimer Ari Aster, les frères Dardenne, Christopher McQuarrie, Julia Ducournau, Hafsia Herzi, Kleber Mendonça Filho, Dominik Moll, Jafar Panahi, Kelly Reichardt, Joachim Trier, Sean Byrne, Thomas Ngijol, Nadav Lapid, Alexe Poukine, Pauline Loquès, Déni Oumar Pitsaev et les autres.
Au rayon bibliothèques et tables rondes, il est beaucoup question d’éco-production, de bouleversements technologiques, et de nouveaux formats. C’est un peu les mêmes sujets que l’année dernière mais ce ne seront peut-être pas les mêmes mots. Rien pour l’instant sur l’attaque trumpienne. Dommage. D’autant qu’avoir Robert de Niro en animateur de débat eut été un avantage.