Titanic, le retour - l'édito d'Eric Libiot
Au mois de décembre 2024, cet édito était titré « Paysage avant la bataille » et mettait en avant les transformations à venir dans l’audiovisuel après la décision de Canal + de se retirer de la TNT alors que se négociait la (nouvelle) chronologie des médias. Celui de cette semaine pourrait donc s’intituler : « Paysage à quelques minutes de la bataille qui risque de faire du bruit alors que les troupes se forment en escadrons plus ou moins importants, selon la date de diffusion des films à l’écran et le montant à investir ». Un peu long, c’est vrai. Le suivant sera plus court : « Bataille rangée ».
Résumé de l’épisode récent : Disney + a signé pour un investissement dans le cinéma et l’audiovisuel en contrepartie d’une réduction du délai de diffusion des films (9 mois après la salle au lieu de 17), les autres plateformes réfléchissent et Canal+ s’agace. AnimFrance s’est déjà félicité de l’accord avec Disney +, qui devrait, selon l’organisation de producteurs, bénéficier à l’animation. De son côté, Pascal Rogard, patron de la SACD, homme de coulisses et de toutes les affaires du secteur, cessantes ou pas, s’étonne de cette (rapide) signature alors que Canal +, financeur historique du cinéma, comme on le souligne depuis le siècle dernier, n’a encore rien conclu.
Il n’a rien conclu, c’est vrai, mais son patron a parlé. Lors de son audition au Sénat le 30 janvier Maxime Saada s’est essuyé les pieds dans le paf et a clairement remis en cause le montant de ses propres investissements si Disney + arrivait à l’accord voulu. Ce qui est le cas. Il ne serait donc pas aberrant de penser que Canal + fasse le minimum - 110 millions d’euros par an pour le grand écran. Ce qui pourrait arriver va sûrement bousculer, et sans doute affaiblir, la diversité de la production et handicaper le cinéma d’auteur et les films fragiles, pas immédiatement épinglés au tableau des succès potentiels. Ce serait évidemment dommageable.
C’est peu ou prou ce qui s’est passé avec le foot : la concurrence et les (énormes) montants demandés pour la diffusion ont poussé Canal + à sortir des buts de la Ligue 1 (ballon rond français) et à investir dans la premier league (ballon rond anglais) ; la chaîne a retrouvé de l’allant grâce au rugby tricolore, ce qui n’était pas forcément prévu à ce point (ô joie des changements imprévisibles d’appétence). Puisqu’on en est là : Maxime Saada a aussi évoqué la possibilité de transformer Canal + en deux entités, l’une dévolue au sport, l’autre au cinéma. Ce qui changerait encore plus la donne : un chiffre d’affaires de fait en baisse, ce sont des investissements en baisse. Jusqu’à présent, Maxime Saada n’a jamais eu de paroles en l’air.
Du côté des négociateurs, versant organisations professionnelles du cinéma, le tour de cartes sur table se transforme en poker fermé, comme dans les westerns. L’idée de départ, très officielle, était que tout le monde retrouve ses billes et soit content. L’idée moins explicite était de faire jouer la concurrence entre les différents guichets, devenus plus nombreux et plus généreux. Cette ligne de conduite pourrait conduire à une sortie de route. Peu de satisfaits, peu d’ambition, peu d’avenir. L’iceberg est en ligne de mire et le Titanic avance. Puisqu’on connaît déjà la chanson, il est encore possible de l’éviter. Il y a beaucoup trop à perdre. Pour tout le monde.