Régime jeune - L'édito d'Eric Libiot

22 mai 2024
Eric Libiot, rédacteur en chef d'Ecran total, livre son point de vue sur la semaine écoulée et sur les enjeux de celles à venir.

De personnage secondaire, le public jeune est devenu le héros du secteur, celui qu’il faut traiter avec bienveillance si ce n’est avec respect.

Il n’y en a que pour eux. Dragués tous azimuts par les vieux d’un autre âge, parfois plus que centenaire comme le cinéma ou un peu moins ridés comme la télévision et plus généralement l’audiovisuel. Les jeunes, les jeunes, les jeunes. Que nous fûmes évidemment sans qu’il me revienne d’un tel engouement à notre endroit. Mais les temps changent et il faut se dépêcher. Au festival de Cannes cette année, au milieu des débats sur l’IA avec le SPI, le RSE avec le CNC, la VR avec la SACD ou les VHSS avec le SNTPCT, le public jeune s’est trouvé une place aussi importante. De personnage secondaire ces derniers temps, il est devenu le héros du secteur, celui qu’il faut traiter avec bienveillance si ce n’est avec respect.

Une étude menée par l’institut Kantar associé à Brut (1063 personnes de 16 à 30 ans interrogées entre mars et avril 2024) indique que 83% des sondés sont allés au cinéma au moins une fois en 2023. Parmi les lieux utilisés pour voir des films, le grand écran est troisième (28%) derrière la télé (40%) et les plateformes (70%) ; l’étude complète est à lire sur le net. L’Afcae, elle, se réjouit des efforts des institutions pour inciter les jeunes à se faire une toile notamment en soutenant le dispositif “Ma classe au cinéma” - encore faudrait-il que le Ministère de l’Éducation Nationale pousse les profs à s’y investir. Mais l’optimisme est là, plus présent qu’hier. De son côté, la Ministre de la Culture, Rachida Dati, veut intensifier le maillage des salles dans le territoire et développer le cinéma itinérant qui s’en va de sommets en vallées à la rencontre d’une population jusqu’alors peu concernée. Manuel Alduy, lui, patron du cinéma de France Télévisions, déclarait dans Écran total, mettre tout en œuvre pour attirer ce public-là sur la plateforme france.tv en éditorialisation plus encore les contenus. Et tous les patrons de chaînes lui emboîtent le pas, considérant, à juste titre, que le jeune d’aujourd’hui est le vieux de demain.

Donc ça réarme et ça défouraille comme un soir de fête. Il faut sans doute tout faire et tout essayer pour évaluer ce qui va fonctionner. Je l’ai écrit ici et je suis d’accord : les comportements volatiles de ces (télé) spectateurs oblige à la souplesse. Mais aussi au secouage de cocotier.

Dans l’étude menée par Kantar, 64% des jeunes déclarent que la salle est un endroit à préserver dans le futur mais ce qui les empêche le plus de s’y rendre c’est la cherté du billet (59%). Dans le même ordre d’idée : 25% voudraient des séances où il serait possible de diner ou de déjeuner ; 22% plébiscitent des projections de nuit ; 20% aimerait des loges fermées pour discuter… Enfin 17% souhaitent un billet qui permette de voir le film en plusieurs fois : soit l’inverse des cinémas permanents du siècle dernier où l’on pouvait voir plusieurs fois le même film avec un seul billet. En gros, il faudrait que chaque salle invite Eddy Mitchell à chaque (dernière) séance pour proposer attractions, ouvreuse, film, chocolats glacés, etc.

Il ne faut pas toujours écouter les jeunes. Mais ils seront là après nous. Ce que dit ce public, toujours prêt à aimer le cinéma en grand large, c’est que les salles doivent faire le ménage, du sol au plafond et de la caisse aux coulisses. A tout le moins changer plus qu’elles ne le font – avec l’aide des institutions évidemment. Prix du billet, offre hors-film, lien social : de beaux sujets de débats pour le Congrès des exploitants qui se profile en septembre. Quand faut y aller, faut y aller. C’est un nouveau paradigme : les salles ne sont plus au bout de la chaine mais au début.