Seul au monde - L'édito Cannois d'Eric Libiot

14 mai 2024
Eric Libiot, rédacteur en chef d'Ecran total, vous ouvre les coulisses du 77ème Festival de Cannes

Les chiffres sont tombés. Et ils se sont fait mal. 12 millions d’entrées en salles en avril soit – 35,5% par rapport à avril 23. Sur l’année glissante le chiffre est encore positif, +0,2%, mais à peine et il diminue de mois en mois. Si mai ne redresse pas la barre, ça va virer vinaigre (et négatif) alors que depuis la sortie du covid, les feux verdissaient doucement mais sûrement. Les temps sont durs même si on sait bien que cette baisse est (aussi) due à une offre américaine quasi inexistante à cause de la grève à Hollywood en 2023.

Petit bol d’air au moment où le festival de Cannes soulève son rideau : le 1er mai a fêté le cinéma plus que le travail : les dix nouveautés ont réuni 445 000 spectateurs, soit + 247% par rapport à la semaine précédente. C’est presque trop ; on n’est plus habitués. Il faut dire que ce jour-là est sorti de The Fall Guy de David Leitch avec Ryan Gosling et Emily Blunt : tapis rouge, flonflons, plan média ad hoc, paillettes et chocolats glacés. Coup de chance, ce mois de mai, il y a aussi les singes en un nouveau royaume et bientôt Furiosa : une saga Mad Max, suite, prologue, extension, note en bas de page ou postface de la série, on ne sait plus, et on s’en fiche du moment que le cinéma américain nous sauve du marasme ambiant. Merci à lui.

Pardon ? On me glisse dans l’oreillette que pas du tout. Erreur totale. C’est un film français qui a cassé la baraque : Un p’tit truc en plus d’Artus. Personne ne l’a vu venir. Casting tranquille, ambition modeste, comédie feel good : pour échapper à la police, un fils et son père se réfugient dans une colonie de vacances pour jeunes adultes handicapés. Pas la peine d’être spécialiste du post-modernisme au cinéma, ni sociologue de la billetterie pour juste noter que ce film ne répond à aucune demande particulière mais qu’il tombe à pic, plus que The Fall Guy en tout cas (blague de vieux). Ce 1er mai était aussi férié que pluvieux, ce qui a sans doute offert un p’tit truc en plus à Un p’tit truc en plus. Mais pas seulement. Les raisons de ce succès tiennent aussi au fait que peut-être, ou alors, à moins que et si ça se trouve. Ni plus ni moins.

Le plus grand festival de cinéma du monde s’ouvre et mille films vont aller se faire voir. Certains sont attendus (Coppola, Audiard, Cronenberg, Zia, Rasoulof, Lellouche…), quelques-uns à peine repérés, d’autres totalement inconnus au bataillon. Au programme : déceptions, enthousiasmes, surprises, ennui, révélations. Comme tous les ans et comme toutes les années à venir. Mais Elkoussy, Van Dijl, Audiard et Artus et tous les autres même combat : raconter des histoires si personnelles qu’elles touchent tout le monde ; faire d’un prototype une œuvre qui fait écho à l’époque, espérer un large succès de quelques mots déposés sur une feuille blanche il y a plusieurs mois. Et que celles et ceux qui insistent encore bêtement pour que les films répondent à une demande, afin d’aider les succès soi-disant potentiels, aillent casser du caillou. Le festival de Cannes, que tout le monde applaudit, est un lieu où le cinéma s’affiche en première personne du singulier.