Un caillou dans la godasse - L'edito d'Eric Libiot

17 avril 2024
Eric Libiot, rédacteur en chef d'Ecran total, livre son point de vue sur la semaine écoulée et sur les enjeux de celles à venir.
L'edito d'Eric Libiot (c) Pierre Abouchahla

Ce n’est pas un poisson d’avril - It is not an April Fool’s Day. Lundi 1er, Dan Lin, nouveau patron du cinéma de Netflix, débarquait avec armes et bagages au siège de la maison mère en Californie. Avec armes surtout, puisque, selon le New York Times, il virait quinze personnes dont un vice-président et annonçait que les temps, selon lui, dispendieux étaient finis.

Exit les films portés par des auteurs reconnus et prestigieux qui demandaient sans doute trop d’argent, bienvenus aux histoires calibrées censées répondre à la demande des 260 millions d’abonnées de la plateforme de streaming. Il va falloir que Dan se lève de bonne heure pour contenter dans un même élan tout ce beau monde né sous mille étoiles imaginaires différentes. Une seule solution : baisser le niveau jusqu’à zéro et au-delà, voire au-dessous. Kathryn Bigelow, qui travaillait depuis plusieurs mois à son prochain film, Aurora, adaptation d’un roman d’anticipation de David Koepp, aurait fait les frais de cette nouvelle ligne éditoriale : projet abandonné par Netflix, retour à la case point mort pour la réalisatrice dont le cinéma est sans nouvelles depuis Detroit (2017), très grand film sur les émeutes de l’été 1967 aux Etats-Unis. Cette cinéaste mérite beaucoup mieux que de faire ses cartons. Plus généralement le cinéma lui-même mérite aussi davantage que de rentrer dans des cases trop souvent balisées par les bastons, les poursuites de bagnoles, les flingues et la testostérone. Répondre à la demande, comme l’imagine Dan Lin, finit par se transformer en boomerang : la baisse de la qualité entraîne un désintérêt progressif du public (cf. les blockbusters des supers-héros en slips volants) et le manque d’ambition pousse à nager dans l’eau tiède au grand dam des annonceurs, maintenant présents sur Netflix, qui préfèrent se faire voir en des lieux dont tout le monde parle.

Répondre à la demande finit par se transformer en boomerang : la baisse de la qualité entraîne un désintérêt progressif du public.

Mais peut-être que le cinéma n’est plus un enjeu outre-Atlantique. D’autant que la plateforme investit de plus en plus dans le sport ; événement live ou documentaire. Le 20 juillet prochain, Mike Tyson, 57 ans, remontera sur le ring face à Jake Paul, 27 ans, youtubeur et boxeur. Match en direct. Nombre de pubs vraisemblablement record. Médiatisation tous azimuts. Netflix gagnant dès le premier round. Ce sera la fête à Los Gatos. Dan pourra dormir tranquille cette nuit-là.

Ensuite ? Faudra voir. Si cette politique événementielle fonctionne à court terme, elle n’est pas assurée de connaître les mêmes beaux jours à moyen ou long terme. Il sera nécessaire de frapper plus fort à chaque fois. C’est fatiguant. Et parfois lassant.

Mais après tout Netflix est une boîte privée et elle fait bien ce qu’elle veut. Notamment de la série B, C ou Z si elle le souhaite. Enfin non. Pas tout à fait. Nous sommes le caillou dans la godasse de Dan. L’accord passé en 2022 entre les organisations du cinéma français et Netflix - contribution financière, clause de diversité, clause de volume, minimum garanti de 30 M€ par an - continue de porter ses fruits. Depuis septembre 2023, cet accord concerne égale- ment le documentaire et l’animation. C’est le prix à payer pour une création vivace et des diffuseurs contents. Personne ne s’en plaint. Sauf peut-être Dan Lin. Tant pis pour lui.