Anne-Sophie Delseries, de goût et de couleurs

23 octobre 2023
Anne-Sophie Delseries est cheffe décoratrice. Elle vient d’être récompensée par la CST du prix de la « jeune technicienne ».
Anne Sophie Delseries

Il y aura des applaudissements à l’annonce du prix puis Anne-Sophie Delseries s’avancera sous la lumière. « C’est une place que je n’aime pas beaucoup, moi je suis au service des cinéastes. Je me glisse dans leur tête. » En retrait mais présente, donc. C’est souvent le paradoxe des techniciens du cinéma qui investissent à tour de bras le domaine artistique sans en avoir les prérogatives. « Ça me va bien », souligne Anne-Sophie, cheffe décoratrice et récipiendaire du « prix CST de la jeune technicienne. » L’annonce a été faite au dernier festival de Cannes et a récompensé son travail dans Le Théorème de Marguerite, d’Anne Nouvion, sélectionné en Séance spéciale. Mais c’est lundi 23 octobre, à Paris, qu’Anne-Sophie, recevra son prix, montera sur scène, prononcera quelques mots, sourira sans doute, puis retournera dans l’ombre.

Pour l’heure, elle boit un verre et « boucle » le tournage de Robott-0 de Giulio Callegari avec Blanche Gardin. Ensuite c’est un peu de repos. Sauf si on l’appelle et que le scénario l’emballe. « C’est le première raison pour dire oui. Malheureusement nous , les « chefs déco », sommes souvent appelés au dernier moment alors qu’il faut du temps pour trouver une équipe, comprendre les motivations des cinéastes, imaginer le décor, participer aux repérages, etc. » Elle se dit jeune dans le métier mais ses premiers pas de cheffe déco remonte à quasiment dix ans avec Les Filles du moyen-âge d’Hubert Viel. Ont suivi Yves de Benoit Forgeard, Terrible jungle de Hugo Benamozig et David Caviglioli, La Passagère d’Héloise Pelloquet, réalisatrice sortie de la même promo de la Femis qu’Anne-Sophie Delseries.

C’était en 2014. Un cursus qui complétait des études à l’école du Louvre sanctionnées par un travail sur « Décor et cinéma ». Elle aurait pu revenir conservatrice, là voilà arpentant les plateaux et les brocantes. « Je chine de moins en mois, mais je dessine toujours », dit-elle. Dans le corpus « cheffe déco », il y a effectivement un rôle dévolu à « l’ensemblière », chargée de réunir en amont les mille objets qui serviront à l’habillage du décor - à ne pas confondre avec l’accessoiriste qui oeuvre au quotidien pendant le tournage. « Je tiens encore parfois ce poste mais de moins en moins même si c’est inspirant de bosser avec d’autres chefs déco. Cela dit, comme cheffe déco, je tiens à garder les rideaux et les lampes. » C’est dit dans un sourire mais avec sérieux. Comme cette phrase si juste qui ouvre des abimes de réflexion:  « le décor c’est créer de l’éphémère pour toujours. » Vous avez deux heures.

Le Théorème de Marguerite raconte le parcours d’une étudiante à l’ENS, brillante mathématicienne dont les certitudes s’écroulent au moment de passer sa thèse. « C’est un cas d’école, explique Anne-Sophie Delseries. En lisant le scénario j’ai imaginé un décor quotidien et une esthétique plutôt sobre. Héloise, la réalisatrice, avait en tête totalement autre chose, une ambiance très colorée à la Wong Kar-waï. J’ai revu ma copie. Mon goût est important mais j’estime plus important encore de coller au goût des réalisateurs. En l’occurence, j’ai mis au point des palettes de couleurs. Il faut que ça soit juste et beau. Mais pas « joli ». Le parcours de Marguerite est fait de différentes étapes. C’est ce que j’ai essayé de rendre dans le décor. »

Que les choses soient claires pour finir : Anne-Sophie Delseries a toujours du mal à prendre son téléphone pour appeler les cinéastes qu’elle aime (Quentin Dupieux par exemple) et rêve de décorer un film d’époque. Plutôt 19ème. N’hésitez pas. Vous serez récompensé.