Oscars 2023 : attentes et tendances
C’est la première cérémonie depuis la pandémie qui sera marquée par un fait indéniable : business is back, autrement dit “retour à la normale” ou presque.L’Académie est en effet revenue aux règles pré-Covid, où les films doivent être sortis en salle pour être qualifiés, avec tout de même un assouplissement : ils n’étaient plus obligés d’être projetés seulement à Los Angeles ou à New York. Atlanta, the Bay Area (San Francisco), Chicago ou Miami pouvait être choisi pour la sortie en salle. Est-ce le signe que les cinémas vont redémarrer ? Les professionnels de la distribution l’espèrent.
L’Academiea, pour la première fois en 40 ans, sélectionné deux des plus gros blockbusters de ces derniers mois : Avatar : La voie de l’eau et Top Gun : Maverick. James Cameron, déjà oscarisé, fait face à Tom Cruise et Jerry Bruckheimer, deux producteurs qui n’ont jamais été nommés pour l’Oscar du meilleur film... jusqu’à présent. Ce sera aussi la première fois que deux des œuvres dans la catégorie du Meilleur film ont rapporté chacune plus d’un milliard de dollars au box-office. Autrement dit, l’Académie pourrait enfin donner, en théorie, l’Oscar du meilleur film à une œuvre que le spectateur moyen aura eu la chance de voir. Mais la probabilité que l’un de ces deux blockbusters gagne reste très mince. Ce qui n’empêche tout de même pas que leur simple sélection devrait encourager une production accrue de long-métrages à gros budget, une proposition souvent risquée mais qui va aussi dans le sens d’un retour aux salles de cinéma.
Après les Oscars de 2015, April Reign, activiste, avait lancé sur Twitter le fameux #OscarsSoWhite, soulignant le manque de diversité parmi les nommés. Depuis, il y a eu du progrès, comme le montre une récente étude de l’Université de Southern California (USC). Si les minorités ne représentaient que 8% des nommés entre 2008 et 2015, elles représentent cette année 17%. Si les femmes n’étaient représentées qu’à 21% en 2015, elles le sont maintenant à 27%. De légers progrès certes, il y a encore beaucoup à faire, mais si le film américano-asiatique Everything Everywhere All at Once (11 nominations) gagne l’Oscar du meilleur film (car il est donné favori), les œuvres mettant en scène des minorités pourraient être privilégiées à l’avenir, surtout si des acteurs comme Ke Huy Quan et/ou Michelle Yeoh dans Everything... ou encore Hong Chau dans The Whale, gagnent un Oscar.
A la suite de “la gifle” que l’acteur Will Smith, monté sur scène, avait infligé au présentateur Chris Rock pour avoir osé faire une allusion aux cheveux de sa femme, Jada Pinkett Smith, l’Académie cette année a décidé de prendre des mesures drastiques pour que ce genre de « distraction » ne se reproduise plus (même si on chuchote dans les coulisses que c’est justement ce type d’incident qui fait monter l’audimat). “Nous avons une véritable équipe de crise, quelque chose que nous n’avons jamais eu auparavant, et beaucoup de stratégies sont en place” a annoncé Bill Kramer, président de l’Académie, à Time Magazine. Pas question donc de compromettre la présentation de Jimmy Kimmel par une action imprévisible et gênante pour l’Académie. C’est la première fois en 95 ans qu’une telle “cellule de crise” est mise en place, au grand chagrin de ceux qui espéraient à nouveau une touche d’improvisation.
Deux des acteurs donnés comme favoris, l’un pour l’Oscar du Meilleur acteur dans un second rôle, l’autre pour l’Oscar du Meilleur acteur, ont eu chacun leur traversée du désert. Ke Huy Quan, acteur américano-vietnamien qui collectionne les prix en ce moment pour son rôle dans Everything Everywhere All at Once, s’est fait remarquer il y a près de 40 ans dans Indiana Jones et le temple maudit, où il jouait Demi-Lune. L’année suivante, il jouera dans un autre film de Steven Spielberg, Goonies. Puis pendant 4 décennies, il peine à trouver des rôles. Il lui faudra attendre cette année pour se retrouver enfin propulsé à nouveau sous les feux des projecteurs. Même parcours pour Brendan Fraser, qui s’est fait sur- tout connaître dans George de la jungle en 1997, dans un rôle de Tarzan déjanté. Il connaîtra un succès international avec La Momie (1, 2 et 3), jouera dans Un Américain bien tranquille et Collision. Puis ce sera les années calmes où il est pratiquement oublié jusqu’à son rôle étonnant dans The Whale, un film qui l’a remis lui aussi sur le devant de la scène. Si l’un ou l’autre, ou les deux, gagnent un Oscar, ce sera à Hollywood une énorme bouffée d’espoir pour tous ces acteurs qui ont brillé à une époque puis sombré dans l’oubli pendant des années. Une incitation aussi aux producteurs à financer des films avec pour héros des “has-been” qui n’ont pas dit leur dernier mot.
La cérémonie des Oscars a un problème : elle dépasse toujours les horaires prévus, débordant des 3 heures normalement allouées à sa diffusion. Un casse-tête pour la chaîne ABC, les annonceurs publicitaires faisant la loi sur les networks. L’année dernière, 8 catégories avaient été carrément supprimées du live, les prix étant donnés hors antenne. Les nommés pour la meilleure musique de film, les meilleurs maquillage et coiffure, le meilleur court-métrage documentaire, le meilleur montage, le meilleurs décor, le meilleur court-métrage d’animation, le meilleur court-métrage en prise de vues réelles et le meilleur son étaient furieux.
Marche arrière de l’Académie, qui sous l’indignation de l’industrie du cinéma, a décidé de lâcher du lest. “Nous nous engageons à avoir un spectacle qui célèbre les artisans, les arts et les sciences et la nature collaborative du cinéma. C’est vraiment la mission de l’Académie, et j’ai bon espoir que nous puissions faire un spectacle qui célèbre toutes les composantes du cinéma d’une manière divertis- sante et engageante.” a déclaré le même Bill Kramer. Les producteurs exécutifs et showrunners Glenn Weiss et Ricky Kirshner de White Cherry Entertainment produiront les Oscars, et Weiss revient, pour la huitième année consécutive, en tant que réalisateur de l’émission. La question alors se pose : quelles vont être les astuces cette année pour rester dans les temps tout en honorant 23 catégories ? Un challenge qui sera intéressant à observer. Rendez-vous à Los Angeles dimanche soir, lundi matin en Europe.
Claude Budin-Juteau Correspondant d’Écran Total à Los Angeles