Red Sea Film Festival : la naissance d'une nouvelle industrie

12 décembre 2022
Retour sur l'édition 2022 du Red Sea Festival qui s'est tenue du 1er au 10 décembre à Djeddah, dans l'ouest de l'Arabie saoudite
Closing Night Gala - Awards - The Red Sea International Film Festival

« J’ai donc pas mal hésité avant de venir, puis j’ai changé d’avis et c’est la meilleure décision qui soit. Je m’en veux beaucoup maintenant d’avoir tant hésité car mon regard sur l’Arabie Saoudite a complètement changé. C’est une nouvelle fenêtre sur le monde, » raconte Yasmine Benkiran, réalisatrice marocaine de QUEENS, un road-movie à la Thelma & Louise. Un sentiment que beaucoup partagent avant de faire le voyage dans un pays qui souffre d’une image de marque négative dans l’Occident. On peut donc en déduire que la décision d’organiser un Festival du Film International à Djeddah est une manière d’aider à changer cette image de marque.

Le « Red Sea International Film Festival » (RSIFF) qui a eu lieu du 1er au 10 décembre en est à sa deuxième année, dans un pays où les cinémas n’existaient durant près de quarante et qui a décidé, à l’instar de ses voisins comme Dubaï ou le Qatar, d’ouvrir ses frontières aux visiteurs étrangers et, pourquoi pas, au tourisme. « L’Arabie saoudite veut faire partir du Top 10 mondial des pays où il fait bon vivre. Et dans les critères, il y a notamment l’accès aux biens culturels et le Red Sea Film Festival est un bon moyen d’y parvenir » déclare Charles-Henri Gros, attaché de la Culture et de la Coopération en Arabie Saoudite. C’est Djeddah, petite ville côtière sur la Mer Rouge, qui a été choisie pour un festival qui se veut multiculturel et diversifié. « Nous avons des films arabes, asiatiques, européens, africains et américains » annonce Kareem Aftab, le directeur de la programmation internationale. « Le premier festival, l’année dernière, bien qu’il se soit déroulé en pleine pandémie COVID-19, avait été un énorme succès, plus qu’on ne l’avait imaginé. Beaucoup de réalisateurs arabes et plus particulièrement saoudiens, ont été inspirés par la visite de grands noms du cinéma international, et nous avons décidé de renforcer ces liens », continue Kareem. Et pour preuve la présentation de films tournés sur place, comme Raven Song, réalisé par un Saoudien, Mohamed Al Salman, l’histoire d’un jeune homme de 30 ans, Nasser, qui tombe amoureux d’une femme énigmatique alors qu’il vient d’être diagnostiqué d’un cancer au cerveau, avec l’état d’urgence que cette révélation implique. Ou encore le film de clôture, Valley Road, de Khalid Fahad, autre réalisateur saoudien, sur un jeune homme perçu comme handicapé et qui vit dans un village de montagne. Mais pour Dora Bouchoucha Fourati, productrice tunisienne,ce n’est que la première étape car « L’Occident attend des pays arabes qu’ils réalisent des films sur la révolution arabe en Tunisie, ou la libération des droits de la femme en Arabie saoudite car ils ont beaucoup plus à offrir ».

Le Présent du jury Oliver Stone.

Avec des invités de marque comme Oliver Stone, président du jury, Spike Lee, Sharon Stone et Andy Garcia, le RSIFF offre au public saoudien un regard sur le cinéma américain, mais à Djeddah, Hollywood est aussi en concurrence avec Bollywood (Inde) et Nollywood (Nigeria), des marchés devenus très concurrentiels sur la scène internationale. « Nous voulons accueillir de plus en plus de réalisateurs africains avec des partenariats grandissants entre l’Afrique et l’Arabie saoudite » poursuit Kareem Aftab, qui a invité des cinéastes comme Ery Claver, de l’Angola, pour présenter son premier film Our lady of the chinese shop, une allégorie de l’Afrique moderne vue à travers le regard d’un marchand chinois importateur de statuettes en plastique de la Vierge Marie. Le film d’ouverture du festival symbolise d’ailleurs l’aspect multiculturel du festival, avec le choix de What’s love got to do with it (Et l’amour, dans tout ça ?), réalisé par Shekhar Kapur, l’histoire d’une documentariste, Zoe, qui filme son ami d’enfance, Kaz, qui vit en Angleterre et qui épouse une jeune fille du Pakistan dans un mariage arrangé pour faire plaisir à ses parents. Un film tourné à la fois au Pakistan et en Angleterre qui, en remettant en question les traditions ancestrales, était parfait pour donner le ton dès le premier soir.

Autre force de l’Arabie saoudite : une industrie naissante du cinéma qui bénéficie, en plus d’une facilité de financement, de studios modernes et d’une géographie variée qui peut accommoder nombre de tournages. « Il y a ici des villes qui peuvent passer pour beaucoup d’autres villes, que ce soit Riyadh, la capitale, et son architecture futuriste ou Djeddah et son souk traditionnel », explique Kaleem Aftab. « Kandahar, un film sur la CIA au Moyen-Orient qui sortira l’année prochaine, avec Gerard Butler comme acteur et producteur, supposé se passer en Afghanistan, a été en fait tourné entièrement en Arabie saoudite, notamment dans le désert près d’AlUla, une région propice aux tournages ». Même les scènes d’un aéroport en Angleterre ont été tournées à l’aéroport de Djeddah. « Nous avons désormais des studios dignes des plus grandes installations européennes ou américaines » rajoute Faisal Baltyuor, producteur qui a lancé la société de production CineWaves Films. Des pays comme le Maroc, le Qatar ou la Jordanie, qui ont toujours eu jusqu’à présent les faveurs d’Hollywood, sont maintenant concurrencés par l’Arabie saoudite. « Giuseppe Tornatore, président du jury l’année dernière, est revenu cette année et est intéressé à tourner ici » rajoute Kaleem. « La créativité se développe à bon train avec des fonds dans lesquels l’État abonde généreusement » confirme Charles-Henri Gros.

L’investissement dans la production cinématographique profite aussi à la population locale sous la forme de constructions de cinémas, une infrastructure inexistante jusqu’à la levée de son interdiction en 2017. Selon Faisal Baltyuor, « nous avons aujourd’hui 500 écrans à travers le pays et visons à atteindre 2.000 écrans d’ici à 2030 ». Un changement drastique dans l’économie du pays. D’après Kareem, « L’Arabie saoudite est dans le top 20 des marchés mondiaux du cinéma et les œuvres d’Hollywood se classent régulièrement parmi les 5 pays qui ont les plus grosses recettes ». Un film comme Top Gun : Maverick a par exemple gagné 20 millions de dollars au box-office, faisant de l’Arabie saoudite le quatrième territoire le plus rentable pour le blockbuster de Tom Cruise. Le deuxième pays le plus peuplé du monde arabe avec près de 35 millions d’habitants (après l’Égypte) a donc un besoin urgent de productions locales, pour compenser l’influence des films hollywoodiens, les seuls films arabes venant pour la plupart du marché égyptien.

D’où l’importance d’un événement comme le Red Sea International Film Festival qui attire des producteurs et réalisateurs du monde entier, en plus d’encourager la production locale. Yasmine Benkiran, la réalisatrice de Queens, qui a rencontré une population avide de changements politiques, a remarqué « qu’il y a ici une jeunesse assez libre qui a très très envie de progrès, notamment en termes de droits de l’homme et de la femme ». Son film qui met en scène trois femmes poursuivies par la police a été très bien reçu et donne une représentation de la femme qui pourrait inspirer un pays en pleine transition. En somme, un festival qui, au-delà de son aspect économique, risque d’accélérer un processus de réformes qui ne peuvent qu’être bénéfiques pour le pays.

Claude Budin-Juteau. Envoyé spécial d’Écran Total