L’animation pour adultes se crée une place dans l’écosystème français

12 décembre 2022
A l'occasion du Rendez-vous de l'animation d'Ecran Total, des professionnels évoquent le développement de l'animation pour adultes en France.

L’animation pour adultes a émergé aux Etats-Unis entre la fin des années 80 et la décennie 90, avec des séries comme Les Simpson, South Park ou Family Guy. Ces dernières années, grâce aux plateformes de streaming, la popularité de ce mode de narration qui vise en priorité les 18-34 ans a explosé, avec des succès comme Rick et Morty et le nombre toujours plus important d’animes japonais proposés sur nos écrans. Désormais, les producteurs français veulent se faire une place dans ce paysage mondialisé.

A l’occasion de son Rendez-vous de l’animation, vendredi 9 décembre, Ecran Total a réuni plusieurs professionnels lors d’une table ronde pour évoquer la place particulière de l’animation adulte dans l’écosystème français.

Si le succès de l’animation pour adultes sur les plateformes n’est plus à prouver, au cinéma, c’est un médium qui fait les beaux jours des festivals et des circuits art et essai, mais qui peine encore à sortir de cette niche. Ainsi Flee, une coproduction minoritaire française réalisée par le danois Jonas Poher Rasmussen, a réussi l’exploit d’être nommé à trois Oscars (meilleur film international, meilleur film documentaire et meilleur film d’animation) après un parcours remarqué en festivals. Lancé à Sundance en 2021, il a remporté quelques mois plus tard le Cristal du long métrage à Annecy.

Un public qui reste de niche en salles

Malgré cette reconnaissance et un accueil dithyrambique dans la presse, le film a eu du mal à rencontrer son public, et n’a réalisé qu’un peu moins de 30.000 entrées en salles. “Sur le fond comme sur la forme, c’est un projet compliqué, car il cumule les handicaps : c’est un film d’animation pour adultes, un documentaire, qui parle d’un migrant et d’un sujet LGBT. Il coche toutes les cases du film qui ne marche pas”, admet en plaisantant Martin Bidou, programmateur chez Haut et court, qui a distribué le film. D’autant plus que la pandémie a bouleversé les habitudes du public, et que le marché est maintenant encore plus concentré autour des quelques films les plus porteurs. “Nous sommes très fiers d'avoir fait 30.000 entrées” dans ce contexte difficile, affirme Martin Bidou.

L’exemple de Flee est symptomatique du challenge auquel fait face chaque projet d’animation pour adultes. “Son public est très restreint, cantonné aux grandes villes. J’ai perdu mon corps a réalisé 220.000 entrées alors que nos succès jeune public font 500 ou 600.000 entrées”, résume Martin Bidou. De quoi rendre les distributeurs frileux. “Nous payons de très gros minimums garantis sur l’animation pour enfants mais, quand on lit des projets d’animation adulte, on y regarde à deux fois”, lâche-t-il. “On attend de la singularité, un regard fort sur le sujet pour que le film ait un truc en plus.”

Pour la réalisatrice Anca Damian, dont le cinquième long métrage L’Ile sortira en salles en mai 2023, l’animation pour adultes souffre aussi du manque de considération dont est victime l’ensemble du cinéma d’animation. “Arte ne préfinance qu’un seul film d’animation par an, sur une vingtaine de films”, note-t-elle comme exemple. “Pourquoi se limiter ? Pourquoi faire courir les projets d’animation dans un seul couloir ?”

Peu d’espace sur la télévision linéaire

Et quand une chaîne préfinance un long métrage, elle peut se trouver réticente à le diffuser en primetime. “France 3 investit dans un long métrage d’animation adulte par an mais cela coince au niveau de la programmation à l’antenne” note Joseph Jacquet, directeur du développement de l’offre jeunesse de France Télévisions. Heureusement, l’ouverture de la chaîne Culturebox au cinéma et le développement de l’offre délinéarisée a pu profiter à J’ai perdu mon corps, qui a été diffusé en primetime au printemps dernier et a bénéficié d’une exposition sur la plateforme France.tv.

En télévision, si les programmes français d’animation adulte sont encore rares, nombreux sont les créateurs qui souhaitent désormais se tourner vers ce médium. “Il y a de plus en plus de gens qui sortent des écoles et n’ont pas forcément envie de s’adresser aux enfants”, observe Joseph Jacquet. France Télévisions accompagne l’animation adulte depuis une dizaine d'années, à la fois à travers des programmes courts mais également des séries d’une demi-heure. “10% de nos investissements dans l’animation vont vers l’animation adulte. Cela représente 3 millions d’euros par an et cela ne cesse de croître", détaille Joseph Jacquet.

Mais, pour un diffuseur linéaire hertzien comme France Télévisions, pas facile d’attirer le public cible de ces œuvres, car il n’est pas présent en nombre devant la télévision. “En 2016, France TV était le diffuseur de Rick et Morty et de L’Attaque des Titans. Nous avons aussi diffusé de nouvelles créations. Le tout sur France 4 en voulant s’adresser aux jeunes. Et nous avons fait de jolis bides”, constate Joseph Jacquet. “Pour retrouver ce public, c’est un sacré challenge. Cela fait 10 ans qu’on y travaille.” Pour toucher les jeunes adultes, France TV n’hésite pas à mettre certaines productions sur des plateformes tierces, comme la série courte La Petite mort, disponible sur YouTube.

En touchant un public plus âgé, l’animation adulte peut fonctionner en linéaire. C’est le cas de la série courte Pandas dans la brume, d’après l’œuvre de Tignous, dont les trois saisons ont été diffusées sur France 5, ou des multiples séries proposées par Arte en access primetime.

Un intérêt grandissant des producteurs

Pour les producteurs français, à l’heure des plateformes, l’animation adulte devient un territoire à explorer. “L’idée n’est pas de copier coller le système américain. Nous avons la chance d’avoir des studios extrêmement talentueux”, rappelle Raphaël Séjourné, producteur chez Mediawan Kids & Family en charge de l’animation adulte. “Nous avons un catalogue de développements assez complet, dans différents genres. Nous essayons de faire émerger des nouveaux formats et de ne pas faire que de la comédie. La France a énormément de potentiel pour toucher le public international, à la manière de ce qui a pu se passer dans quelques pays d’Europe.” La série italienne À découper suivant les pointillés, diffusée sur Netflix est un des exemples.

Si les services de streaming peuvent faire figure d’eldorado, Raphaël Séjourné affirme toutefois que leurs exigences ont changé :  “Ils ont beaucoup acheté pendant quelques années pour tester le marché. Aujourd’hui, leur ligne est bien plus précise. Ils font désormais appel aux producteurs pour développer des projets qui correspondent bien à leurs demandes.”
Au-delà de courtiser les plateformes, Mediawan accompagne les auteurs au cinéma. Le groupe produit notamment Marcel et Monsieur Pagnol, prochain long métrage de Sylvain Chomet.