Richard Patry et Marc-Olivier Sebbag : « Personne ne remet en cause l’utilité d’une fenêtre salle. Pas même les plateformes ! »

20 septembre 2022
Le Président et le Délégué Général de la Fédération Nationale des Cinémas Français (FNCF) évoquent longuement l’organisation du 77ème Congrès des Exploitants (19-22 septembre) ainsi que l’état du marché, la chronologie des médias et la rénovation du parc de salles alors qu’une crise énergétique menace l’ensemble des secteurs d’activités.

Après deux années de restrictions sanitaires, ce congrès semble revenir à ce qu’il fût avant la crise, avec davantage de moments conviviaux. Un soulagement pour vous ?

Richard Patry : L’organisation revient effectivement à une certaine normalité. Nous nous réjouissons de renouer avec nos hommages à de grands cinéastes français puisque notre dernière mise à l’honneur, en l’occurrence pour Anne Fontaine, s’était déroulée en septembre 2019. Cette année, nous célèbrerons Éric Tolédano et Olivier Nakache. Ce sont deux réalisateurs avec une filmographie incroyablement diversifiée et qui restent les champions du box-office. Nous avons souhaité réorganiser cet hommage, qui sera présenté pour la première fois par Philippe Rouyer, afin de lui donner un caractère encore plus événementiel et cinéphile.

Marc-Olivier Sebbag : Ce retour à la normale se vérifie aussi sur la participation puisque nous accueillerons 2 200 professionnels, soit un niveau comparable aux années précédant la crise. Nous compterons également 70 exposants. Nous n’atteignons pas encore notre record établi en 2019 avec 80 exposants mais nous sommes bien au dessus de la cinquantaine présente en 2020 ou de la soixantaine présente l’année dernière. La journée des éditeurs de films s’annonce également exceptionnelle puisque trente éditeurs viendront présenter leur line-up et quinze équipes de films monteront sur scène. Les contenus sont particulièrement enthousiasmants et devraient rassurer les exploitants quant à l’offre cinématographique des prochains mois.

Tout cela s’annonce très positif. Pour autant, la situation de la fréquentation demeure inquiétante, avec une perte de 25% qui n’a toujours pas été endiguée. Face à ce constat, quels seront les enjeux de ce congrès ?

M-O.S : Ce congrès sera celui de la reconstruction et cela prend du temps de reconstruire. Il faut que tous les paramètres soient réunis. Or nous savons que le cinéma américain souffre encore de l’arrêt de la production des studios durant la crise. C’est donc en 2023 que l’offre sera à nouveau très riche sur cette typologie de films. Tout comme l’offre française d’ailleurs avec l’arrivée de mastodontes comme Astérix ou Les Trois Mousquetaires. C’est ce qui nous rassure. Nous ressentons que l’engouement pour le cinéma demeure très important chez nos spectateurs dès lors qu’ils ont accès à une offre riche et variée. Nous l’avons constaté cet été avec le triomphe de Top Gun : Maverick mais aussi avec les succès d’œuvres art et essai comme La Nuit du 12 et As Bestas. Sans oublier les résultats exceptionnels de la Fête du Cinéma. Cet amour du public français pour le cinéma constitue la base de la reconstruction. Pour y parvenir, tous les corps de métier doivent travailler main dans la main pour retrouver un niveau de fréquentation comparable à l’avant-crise.

R.P : Nous voulons rester positifs. La crise n’est pas terminée mais tous les exploitants ont fourni un travail conséquent pour revenir à ce niveau de fréquentation. Nous devrions finir l’année entre 150 et 160 millions d’entrées. Nous sommes loin des 213 millions recensées en 2019 mais nous sommes aussi loin devant les années creuses que nous avons pu connaître précédemment et où l’on peinait à atteindre les 120 millions d’entrées. Le cinéma reste le loisir culturel le plus important en France. Et n’oublions pas qu’au début de cette année, les restrictions sanitaires étaient encore nombreuses entre les pass, les masques et l’interdiction des produits alimentaires. Malgré cela, nous finirons l’année au delà des 150 millions d’entrées. C’est plutôt encourageant.

Bien que la crise sanitaire semble derrière nous, une autre crise se profile… celle de l’énergie. Comment comptez-vous vous y adapter ?

R.P : À la vérité, ce sont tous les secteurs économiques qui vont être confrontés à cette problématique. Dès lors, quelles réponses pouvons-nous apporter aux exploitants directement concernés alors que ce sujet n’est pas uniforme ? En effet, tout dépend des contrats que les directeurs de salles ont signés avec les distributeurs d’énergie. Or ces contrats diffèrent d’une entreprise à une autre. Les exploitants seront donc impactés de manière différente. Certains dans des proportions importantes avec des contrats qui s’achèvent très prochainement. D’autres dans des proportions moindres car leurs contrats prennent encore effet sur quelques années. C’est l’une de nos priorités que de répondre à l’urgence climatique et nous ferons des annonces au congrès.

Malgré la crise, le parc de salles n’est pas resté à l’abandon comme en témoignent les constructions et ouvertures de nouveaux cinémas et les rénovations de bon nombre d’établissements. C’était essentiel ?

R.P : Cela prouve que nous restons optimistes. Si nous arrêtions d’investir, alors notre parc de salles tomberait en ruine. C’est la raison pour laquelle nous avons eu à cœur de faire aboutir les travaux qui avaient été engagés en amont de la crise et nous allons continuer d’œuvrer dans ce sens. Il faut que les exploitants soient en capacité de financer leurs investissements, soit par le recours à l’emprunt, même s’il est aujourd’hui complexe de chercher de l’argent sur les marchés, soit par le recours à des aides spécifiques du CNC, des régions ou de l’Europe qui permettront aux salles d’investir, notamment dans le domaine énergétique.

M-O.S : L’investissement est une condition « sine qua non » à la reconstruction. Dans le cas contraire, nous nous inscririons dans une spirale négative où, faute d’investissement, nos salles vieilliraient et seraient moins attractives. Il est donc nécessaire de restaurer nos équipements, aussi bien sur le plan technologique qu’écologique. Pour rappel, c’est bien la rénovation du parc de salles qui a contribué à relancer la fréquentation en 1992 alors que bon nombre de cinémas avaient considérablement vieillis.

La ministre de la Culture sera présente à l’occasion du débat avec les pouvoirs- publics. Qu’attendez vous de son intervention ?

R.P : Nous attendons évidemment des annonces fortes qui puissent nous aider à traverser la crise énergétique. Bien avant d’être ministre, Madame Rima Abdul-Malak a été un soutien des plus précieux puisqu’elle a contribué à mettre en place un bouclier de protection afin qu’aucune salle de cinéma ne ferme définitivement ses portes durant la crise sanitaire. Notre travail est de l’alerter sur le fait que la situation est désormais moins globale et plus individualisée. Dans ce contexte, il est nécessaire de protéger ceux qui en ont le plus besoin tout en nous accompagnant sur nos problématiques telles que la reconquête du public, les difficultés pour accéder aux crédits ou le désendettement des salles. Nous ne doutons pas de son soutien puisqu’elle nous a toujours accompagné, à l’instar du gouvernement et du CNC.

M-O.S : Les solutions aux problématiques énergétiques ne sont pas spécifiques au ministère de la culture. Elles viendront surtout du ministère des finances et du ministère de la transition énergétique. Les actions du ministère de la culture doivent être notamment consacrées à l’éducation à l’image ou encore à la défense du pass culture, un outil essentiel dans la reconquête du public et notamment du plus jeune qui est principalement revenu dans nos salles grâce à ce pass. Son ouverture aux classes de sixième est une annonce importante.

Si personne ne remet en cause le travail des exploitants et de la FNCF pour aider au retour du public en salles, des critiques ont toutefois pu être formulées sur une absence de communication pour rassurer les spectateurs sur la sécurité des lieux, la richesse de la programmation ou la mise en place d’opérations tarifaires.

M-O.S : Nous avons pourtant organisé successivement, comme chaque année d’ailleurs, un Printemps et une Fête du Cinéma avec des outils promotionnels hors normes qui ont contribué aux succès de ces opérations. Nous avons largement communiqué au moment des deux réouvertures des salles et nous mettons continuellement des outils promotionnels à disposition des exploitants qu’ils utilisent auprès de leur public. Sans compter les actions initiées par les exploitants eux-mêmes. Voyez toutes les manifestations ou opérations promotionnelles mises en place par les associations d’exploitants tout au long de l’été comme Ciné Cool ou CinéSun. Là aussi, les relais médiatiques ont été importants et ont assuré à ces événements une réussite conséquente.

La dernière chronologie des médias a sécurisé la fenêtre des salles à quatre mois. Si personne ne remet en question la primeur de la diffusion des films au cinéma, de nombreux acteurs de la filière regrettent toutefois que des œuvres retirées de l’affiche après deux semaines d’exploitation ne soient plus diffusées sur aucun support avant des mois. Un phénomène qui n’est plus adapté aux usages du public contemporain. Entendez-vous cette remarque et la comprenez-vous ?

R.P : Il est important de rappeler que la chronologie des médias ne concerne pas uniquement les salles. Après notre fenêtre de quatre mois, suivent celles dédiées à la vidéo puis à Canal+ puis aux plateformes, etc. Dès lors, je ne pense pas que la position de la salle soit la principale problématique de cette chronologie. Au contraire, partout dans le monde, la fenêtre de la salle se rallonge. Penser que réduire notre fenêtre à trois mois va régler toutes les problématiques de cette chronologie est une hérésie. Aujourd’hui, la problématique de la chronologie concerne surtout l’interprétation que font les chaines en clair quant à l’étanchéité des fenêtres. Sauf à considérer qu’il ne faut plus de fenêtre dédiée aux salles, ce que personne ne souhaite, ce n’est pas en nous retirant quatre semaines d’exclusivité que nous réglerons les problèmes. D’autant plus que cette fenêtre de quatre mois, à laquelle nous sommes très attachés, prend tout son sens lorsque l’on constate le succès de Top Gun : Maverick. Et si, effectivement, certains films disparaissent de l’affiche après deux semaines d’exploitation, on ne les voit pas nécessairement sur d’autres supports. Encore une fois, ce n’est pas la problématique de la chronologie des médias. Près d’un tiers des films diffusés en salles ne bénéficient plus d’aucune diffusion ultérieure. Alors que les salles diffusent tous les films. Ce n’est le cas ni de Canal+, ni d’aucune plateforme de streaming. Actuellement, la chronologie est signée pour trois ans mais prévoit des clauses d’interprétation et de précision. Nous sommes prêts à échanger à nouveau pour préciser ces clauses mais nous espérons que cette chorologie aille à son terme, même avec des adaptations car, de notre côté, nous n’avons pas grand chose à offrir. À part notre fenêtre entière mais alors c’est tout un système vertueux et envié du monde entier qui s’écroulera. Personne ne remet en cause l’utilité d’une fenêtre salle. Pas même les plateformes. Et ce ne sont pas quatre malheureuses semaines qui vont changer la donne sur ces questions qui dépassent les salles de cinéma.