Disney menace de déserter les salles

13 juin 2022
Avalonia, l’étrange voyage était attendu pour fin novembre dans les salles, il sortira exclusivement sur Disney +. En cause : la chronologie des médias.

Disney poursuit son combat contre la chronologie des médias. Après avoir refusé de signer le dernier accord en date, la firme californienne veut désormais imposer ses conditions à la France. Ainsi, le prochain film d’animation des studios Disney, baptisé Strange World dans sa version originale, ne sortira pas en salles. « C’est la conséquence de la chronologie des médias telle que pratiquée en France que nous jugeons inéquitable, contraignante et inadaptée aux attentes de nos audiences », a déclaré Hélène Etzi, présidente de Disney France, aux Echos le mercredi 8 juin. La plateforme Disney + doit en effet attendre 17 mois après la sortie d’un film Disney au cinéma pour pouvoir la proposer, contre 45 jours pour la plupart des autres pays. Le fait de n’avoir une fenêtre d’exclusivité de seulement cinq mois, « la plus courte de toutes », est également un point important de la grogne de Disney. « C’est l’aspect le plus simple à réformer », affirme Hélène Etzi, qui ajoute que « tous les autres aspects comme les 17 mois et la brièveté de notre fenêtre doivent être renégociés à moyen terme ».

« Avatar 2 » hors de danger ?

Si la présidente de Disney France assure que Avalonia, l’étrange voyage est le seul film pour l’heure concerné par cette exclusivité Disney +, elle n’exclue pas d’autres retraits des salles : « Nous continuons d’évaluer la situation film par film et pays par pays ». Il paraît toutefois peu probable que la firme retire des salles les films qui sauront lui apporter de véritables triomphes, à commencer par Avatar : la voie de l’eau, prévu pour la fin d’année, et que James Cameron a conçu pour le grand écran, en révolutionnant une nouvelle fois la technologie. Mais le fait que le studio ait procédé ainsi une première fois est déjà un signe. Et il pourrait effectivement renouveler pareille décision. Voire même inciter d’autres studios ayant leur propre plateforme à procéder ainsi. Pour le moment, les prochaines sorties estivales de Buzz L’Éclair (22 juin) et de Thor : Love and Thunder (13 juillet) semblent hors de danger, les campagnes marketing à destination des salles étant sérieusement engagées. Alors que celle de Strange World n’avait pas encore débuté. À ce titre, l’annulation de la sortie en salles du traditionnel film de Noël a une portée hautement symbolique et politique qui pourrait représenter un manque à gagner gigantesque pour les exploitants de salles, si l’on se fie aux chiffres des années précédentes. En 2021, en cinq films sortis en novembre et décembre, Disney et ses différentes filiales ont réussi à dépasser en nombre d’entrées les films sortis sur les territoires autres que les Etats-Unis. Les années précédant la fermeture des salles de 2020, la part de Disney dans le box-office français de fin d’année était légèrement inférieure à ce qu’ont pesé les films venus du reste du monde. Le constat s’applique particulièrement à 2018, où les grosses locomotives du studio, comme Les Indestructibles 2 ou Avengers : Infinity War sont sorties dans la première partie de l’année. On peut toutefois estimer que les menaces de Disney sur cette fin d’année 2022 font peser sur le box-office français le risque de 10 à 30%.

Une décision qui peut encore s’inverser ?

Cette décision du studio n’est pas sans rappeler le trouble qu’avait provoqué la mise en ligne récente sur Disney+ de films aussi attendus en salles que Mulan, Soul ou Luca. À la différence que ces trois films n’étaient sortis dans presque aucune salle au monde en raison de la pandémie. Or, Strange World sortira dans toutes les salles internationales, sauf en France. Selon Marc-Olivier Sebbag, délégué général de la FNCF (Fédération nationale des cinémas français), Disney prend tout simplement les salles en otage afin de faire pression sur les chaînes en clair. « La major iconique de cinéma familial va priver les familles françaises de leur spectacle haut en couleur de fin d’année. Soit une période festive où les français ont besoin de se retrouver autour d’un évènement comme celui là. Alors que, objectivement, nous ne sommes pas parties prenantes de ces discussions et ne sommes en rien concernés. La clause de rendez-vous de l’accord de la chronologie des médias va se rouvrir et il y a des concertations individuelles qui peuvent être faites entre les parties prenantes. Dès lors, nous demandons à Disney de revenir sur sa position et de négocier, individuellement ou dans le cadre collectif de la chronologie des médias, sur ce sujet qui leur pose problème. Ce n’est pas aux salles de payer pour une problématique de diffusion sur les chaînes en clair dans les deux ans qui suivent la sortie d’un film ».

Le délégué général de la FNCF se montre toutefois confiant quant à une résolution de cette situation et pense que Disney pourra revenir sur cette décision. « Nous sommes confrontés à une problématique très précise et c’est la raison pour laquelle, dans l’accord de la chronologie des médias, nous avons prévu une clause de rendez-vous. Mais que va t’il en être ? J’ignore quelle est la position de chaînes en clair. Elle est surement aussi légitime que celle de Disney. Mais ces deux partenaires doivent trouver une solution sans que nous ayons à payer pour leur désaccord. Nous avons un cadre réglementaire et un temps suffisant pour étudier une problématique précise. Soit beaucoup d’éléments qui peuvent laisser espérer la résolution de cette situation ».

Marc Missonnier : « La fenêtre de quatre mois des salles n’est plus tenable »

La France pourra t’elle encore résister longtemps à l’évolution du marché et des modes de consommation à l’international ? Jérôme Seydoux lui-même indiquait il y a quelques semaines que l’industrie française devrait peu à peu sortir de ses dogmes. Evidemment, rien ne remplacera jamais la vision d’un film en salles comme en attestent les résultats de Top Gun : Maverick ou Jurassic World : le monde d’après. Et plusieurs studios américains ont récemment abandonné leur stratégie de « Day and Date », convaincus que la salle demeurait leur principale source de revenu. Néanmoins, pour le producteur Marc Missonnier (Moana Films), membre de l’UPC, l’exclusivité de quatre mois des salles françaises n’est plus tenable aujourd’hui, surtout quand un film n’y est plus diffusé après deux semaines d’exploitation. « Les exploitants sont persuadés que le public se rendra moins en salles car les films seront disponibles plus tôt en VOD. Mais ce n’est qu’une conviction. Elle ne s’appuie sur rien d’établi. Si nous voulons avancer, nous ne pouvons rester sur des positions de principe. Sinon nous ne trouverons jamais d’issu à ces discussions. Il faut être logique. Les films Disney seront accessibles partout dans le monde dans les 45 à 60 jours suivants leur sortie en salles, sauf en France. Or s’il y avait, au moment où le film devient disponible sur Disney+ dans le monde entier, la possibilité à ce qu’il soit aussi disponible sur le service Disney+ France mais en VOD à l’acte, ce serait une réponse au piratage. Sinon entre le moment où le film sera disponible sur Disney+ dans le monde entier et le moment où il sera disponible en VOD à l’acte en France, il sera piraté à outrance et génèrera un manque à gagner énorme pour les ayants droits ». Des questions et dossiers passionnants qui ne manqueront pas d’accaparer la nouvelle ministre de la Culture, Rima Abdul-Malak, dans les mois à venir.

Nicolas Colle et Théotime Roux