Une nouvelle chronologie des médias avec Netflix mais sans Disney

24 janvier 2022
La nouvelle chronologie des médias permet aux plateformes de SVOD de diffuser des films avant les chaînes gratuites. En contrepartie, ces dernières bénéficient d'une fenêtre exclusive qui verront les œuvres quitter les catalogues des plateformes au moment de leur diffusion télé.

Après des mois de négociations, les organisations professionnelles du cinéma (Blic, Bloc et Arp), les chaînes de télévision et Netflix se sont mis d’accord sur une nouvelle chronologie des médias ce lundi. Ce texte permet aux plateformes délinéarisées de se placer avant les chaînes de télévision gratuite, en contrepartie des obligations de financement de la création cinématographique auxquelles elles sont désormais assujetties. L’accord n’a toutefois pas été signé par Disney et Amazon.

“C’est vraiment une bonne nouvelle pour la production de films et ça affirme notre modèle, qui est la salle”, réagit Edouard Mauriat, vice-président cinéma du Syndicat des producteurs indépendants (SPI). “C’est d’abord en salle que se crée la valeur des films. Cette chronologie est le moyen intelligent qui permet à tous les acteurs de trouver une juste place, de maximiser le financement du cinéma et de maximiser l’accès aux films pour le public.”

La durée de la fenêtre d’exclusivité des salles reste identique, quatre mois, réduite à trois mois pour les films réalisant moins de 100.000 entrées. Arrivent ensuite la vidéo physique et la VOD à l’acte, qui héritent d’une fenêtre réduite. En effet, avec cette nouvelle chronologie, les chaînes de télévision payante en première fenêtre peuvent désormais diffuser des films six mois seulement après leur sortie en salles, contre huit mois auparavant, à condition de signer un accord avec la filière cinéma. Sans accord, ce délai passe à neuf mois. Canal+ a déjà signé en décembre dernier, et les négociations sont en cours avec OCS. La deuxième fenêtre de télévision payante (souvent acquise par Ciné+) arrive désormais à 15 mois après la salle pour les chaînes ayant signé un accord, et 17 mois sans accord.

Netflix à 15 mois, Disney et Amazon à 17

Pour ce qui est des plateformes SVOD, trois fenêtres sont prévues : une première à six mois après la sortie en salles, si la plateforme signe un accord “premium” avec la filière cinéma et consacre 16% de son chiffre d’affaire aux investissements dans le cinéma ; une deuxième à 15 mois en cas d’accord “à minima” en consacrant une part inférieure de son CA aux investissements dans le cinéma ; et une à 17 mois sans accord. Netflix devrait signer un accord le plaçant à 15 mois, quand Disney+ et Amazon Prime Video se contenteront de fait de 17 mois.

Netflix devrait investir autour de 40 millions d’euros par an dans la création cinématographique, sur une dizaine de films indépendants, en dehors des “Netflix Originals” qu’elle finance à 100% et qui ne sortent pas en salles. “Cet accord est une première étape significative de modernisation de la chronologie des médias. Il reflète notre approche constructive tout au long du processus de négociation et notre engagement à contribuer au cinéma français”, commente un porte-parole de la plateforme californienne. 

Les chaînes gratuites obtiennent une fenêtre exclusive

Les chaînes gratuites, qui restent à 22 mois, passent désormais derrière les plateformes.  En compensation, elles ont obtenu une exclusivité d’exploitation pendant la durée de leur fenêtre. Grâce à ce mécanisme d’étanchéité, les plateformes de SVOD devront retirer les films de leurs catalogues pendant 14 mois.

“Le CNC a fait un super boulot de coordination dans cette négociation incroyablement compliquée”, affirme Manuel Alduy, directeur du cinéma à France Télévisions. “Cette chronologie va aussi nous permettre d’expérimenter d’autres schémas de financement avec les plateformes. C’est un accord où nous avons fait beaucoup de concessions sur nos exclusivités.”

Des exceptions doivent cependant permettre aux plateformes de continuer à exploiter certains films pendant la fenêtre des chaînes gratuites. Les deux parties pourront notamment signer un accord de coexploitation qui pourra réduire la durée d’exclusivité pour la chaîne gratuite à un mois seulement.

Les plateformes pourront aussi garder, pendant la fenêtre normalement dédiée aux chaînes gratuites, les œuvres qu’aucune chaîne n’a préfinancée ou acquise et dont le budget est inférieur à 5 millions d’euros. Pour les films produits par des plateformes ou une société affiliée - par exemple les films Disney - cette exception s’applique jusqu’à 25 millions d’euros de budget.

“L’objectif est de s’assurer que le public des chaînes gratuites ait le moyen, à un moment, de voir les films sans s’abonner”, justifie Edouard Mauriat du SPI. Sur le papier, cette mesure peut sembler difficilement applicable. Comment connaître précisément le budget d’un film produit aux Etats-Unis ? Mais Edouard Mauriat se veut rassurant : “Disney ne va pas s’amuser à arnaquer les chaînes, ils travaillent tous les jours avec elles. On ne doute pas une seule seconde qu’ils vont jouer le jeu.”

Clause de revoyure 

Reste que la firme aux grandes oreilles ne fait pas partie des signataires du texte, signe qu’elle n’est pas satisfaite des conditions imposées. Celle-ci ayant fait de la présence de l’intégralité du catalogue Disney un des arguments de vente de Disney+, elle se trouve dans une situation peu lisible pour les abonnés, puisque ses films apparaîtront sur son catalogue 17 mois après leur sortie en salle, avant de disparaître au moment de leur diffusion à la télévision gratuite, puis de réapparaître un mois plus tard dans le meilleur des cas.

Cette nouvelle chronologie des médias entre en vigueur pour une durée de trois ans, avec un premier bilan dans un an. Netflix pourrait d’ailleurs profiter de cette clause de revoyure pour tenter de réduire le délai de sa fenêtre à 12 mois, comme le permet le décret Smad publié en juin 2021. Si cela aboutit, Canal+ devrait alors baisser sa contribution annuelle au cinéma, une clause placée dans l’accord signé en décembre par la chaîne cryptée le prévoit. Netflix pourrait d’ailleurs trouver une alliée dans la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), qui n’a pas signé l’accord de ce lundi. L’organisme de gestion collective regrette que les films non-achetés par Canal+ ou OCS restent indisponibles, hors VOD à l’acte, “pendant 15 à 17 mois après leur sortie en salles, au grand dam des cinéphiles français”. A peine la nouvelle chronologie mise en place, voilà que de nouvelles négociations pointent déjà le bout de leur nez.

Date de début de la fenêtreDurée maximale d'exclusivité de la fenêtreDiffuseur
Jour de la sortie en salle4 moisSalle de cinéma
4 mois*2 moisVidéo physique, VOD à l'acte
(*3 mois pour les films de moins de 100.000 entrées)
6 moisselon l'accord
(9 mois pour Canal+)
Chaînes de télévision payante ou plateformes SVOD de cinéma en première fenêtre avec accord
Canal+, Ciné+ pour certains films, OCS
9 mois8 moisChaînes de télévision payante de cinéma en première fenêtre sans accord
15 mois7 moisChaînes de télévision payante en deuxième fenêtre avec accord ou plateformes SVOD audiovisuelles avec accord
Ciné+ pour la plupart des films, Netflix
17 mois5 moisChaînes de télévision payante en deuxième fenêtre ou plateformes SVOD audiovisuelles sans accord
Amazon Prime Video, Disney+ etc.
22 mois14 mois**Chaînes de télévision gratuite qui investit au moins 3,2% de son CA dans le cinéma
TF1, France TV, Arte, M6
(**peut être réduit à 1 mois en cas d'accord de coexploitation entre la chaîne et la plateforme SVOD détentrice des droits)
30 mois-Autres chaînes de télévision gratuite
36 mois-Plateformes de SVOD gratuites
Pluto TV, Rakuten TV, Mango
La nouvelle chronologie des médias