Toute une filière en suspens

18 mars 2020
Face à la fermeture des salles de cinéma provoquée par la pandémie de Covid-19, les pouvoirs publics ont annoncé des mesures d’aides pour la filière.

 

Face à la fermeture des salles de cinéma provoquée par la pandémie de Covid-19, les pouvoirs publics ont annoncé des mesures d’aides pour la filière. En amont, les tournages s’arrêtent, les festivals s’annulent, les chaînes bouleversent leurs programmes. Une situation inédite.

 

Le Premier ministre, Edouard Philippe a annoncé, samedi 14 mars, la fermeture sur tout le territoire des commerces non indispensables, dont les salles de cinéma. La Fédération nationale des cinémas français (FNCF) a réagi dans la foulée, indiquant qu’il “convient bien sûr d’appliquer strictement cette décision”, remerciant ses adhérents “d’avoir maintenu tant que cela a été possible les cinémas ouverts, lien social essentiel au cœur de nos cités” et les assurant de les “tout au long de cette période inédite en vue de la réouverture prochaine de toutes nos salles”.

 

La veille, Franck Riester, ministre de la Culture, avait demandé la veille au CNC de présenter très rapidement un plan d’action en faveur de la filière pour répondre aux urgences auxquelles devront faire face les professionnels du secteur. Dominique Boutonnat, président du Centre, a alors déclaré aux acteurs des filières du cinéma et de l’image animée : “le CNC sera à vos côtés, à chaque instant, aussi longtemps que la crise durera. C’est l’essence même du CNC, depuis son origine, de soutenir l’ensemble de la filière dans ce contexte difficile”.

 

Par une concertation quotidienne avec les organisations représentatives de chacun des métiers de la filière, seront mises en place des mesures d’accompagnement et adaptation de leurs modalités au fur et à mesure de l’évolution de la situation : “Evidemment, tous les autres métiers du secteur (les producteurs, les industries techniques, les artistes auteurs, les intermittents...) sont touchés par la pandémie, avec par exemple les décalages de tournage, et risquent de l’être encore davantage. Le CNC réfléchira avec tous les professionnels aux moyens de les soutenir.”  De plus, le Centre a annoncé l’organisation de commissions d’aides dans le cadre d’un fonctionnement dématérialisé, qui est en cours de paramétrage, afin de garantir le soutien du CNC au secteur ; la communication d’informations aux professionnels en temps réel relatives aux mesures liées à l’évolution de l’épidémie ; la suspension de la TSA affectée au CNC, en mars, pour les entreprises qui en ont le besoin, en plus des mesures de trésorerie annoncées mercredi 11 mars.

 

Le 10 mars, Dominique Boutonnat participait à une réunion présidée par Lucie Muniesa, directrice de cabinet du ministre de la Culture, avec les représentants des exploitants et des distributeurs de films, en présence du ministère de l’Economie et des Finances et du ministère du Travail. Cette réunion a permis de rappeler dans le détail les mesures transversales mises en place par le ministère de l’Economie et des Finances pour soutenir immédiatement la trésorerie des entreprises (rappelées dans le lien suivant : https://www.economie.gouv.fr/coronavirus-soutien-entreprises). En complément de ces mesures transversales, Lucie Muniesa et Dominique Boutonnat ont annoncé, au nom du ministre, l’instruction rapide par le CNC de quatre mesures complémentaires de soutien d’urgence : le paiement accéléré dès mars des subventions art et essai pour les 1200 établissements classés ; le paiement accéléré dès mars des soutiens sélectifs aux entreprises de distribution ; les possibilités de report de paiements en 2020 de la TSA pour les exploitants ; l’instruction d’une mesure permettant aux exploitants, distributeurs et producteurs de mobiliser par anticipation leur fonds de soutien.

 

Après les décalages de sorties en cascade chez les distributeurs, qu’ils soient français, américains, indépendants ou non, la fermeture des salles jusqu’à nouvel ordre fait table rase de la programmation des prochaines semaines. En attendant, Aurélien Bosc, président des Cinémas Pathé Gaumont, a annoncé ce week-end une série de mesures commerciales en faveur des clients. Ainsi, l'intégralité des réservations effectuées durant la période concernée par le Covid-19 sera remboursée de manière automatique et sans frais. Les prélèvements bancaires pour les abonnements CinéPass, seront suspendus sans demande spécifique de la part des clients, et la durée de validité des cartes prépayées sera prolongée de façon systématique.

 

Dans la perspective d’un retour à la normale, il est à redouter un engorgement des sorties lorsque les salles rouvriront avec, probablement, un certain nombre de films qui ne pourront trouver de place à l'affiche des cinémas. Il est aussi à parier qu'une population confinée chez elle trouvera dans les plateformes un substitut aux divertissements, spectacles et loisirs en extérieur. D’après Les Echos, le CNC voudrait rendre possible les sorties de films directement en VoD. Une manœuvre qui impliquerait de trouver rapidement un biais législatif pour contourner exceptionnellement la chronologie des médias.

 

Dans le même ordre d’idée, le distributeur La Vingt Cinquième Heure, a annoncé le maintien au 1er avril de la sortie du film Les Grands Voisins, la cité rêvée de Bastien Simon “en e-cinéma géolocalisé et dans les salles de cinéma dès leur réouverture” sur sa plateforme www.25eheure.com. Le film sera accessible aux spectateurs situés dans un périmètre géographique autour du cinéma qui s'est engagé à le programmer. Une offre qui se veut complémentaire à la salle dans le but de “compenser en partie les pertes engendrées par la fermeture temporaire des salles tout en respectant la chronologie des médias et le principe des séances à horaires fixes, sur un périmètre limité”.

 

En termes de festivals, rencontres et salons autour du cinéma et de l’audiovisuel, on ne compte plus les annulations ou les interruptions : MipTV, Cinéma du Réel, Cinélatino, Alès – Itinérances, Festival national du film d'animation de Rennes, Festival Films de Femmes de Créteil, LuxFilmFest, Rencontres Nationales Patrimoine/Répertoire de l’Aface, Cérémonie des Globes, Etats Généraux de la diversité… Au milieu de cette série noire, le Festival de Cannes fait figure de résistant, refusant d’annuler d’emblée la manifestation la plus prestigieuse du cinéma mondial et son marché le plus important. Pourtant, le 15 mars, Le Point publiait un article intitulé : “Le Festival de Cannes n’aura pas lieu”, donnant la parole à un membre du conseil d'administration : “Il sera très difficile pour ne pas dire impossible de sélectionner des films venus de Chine, de Corée, d'Iran, d'Italie et sans doute d'une cinquantaine de pays, sachant que les acteurs, et réalisateurs ne pourront pas se déplacer. Projeter des films dans une salle de 2000 places ne sera pas autorisé et la moindre alerte inquiétera les festivaliers.” Mais l’organisation de Cannes a rapidement démenti sur les réseaux sociaux : “Malgré certains titres à sensation il n’y a aucun élément nouveau concernant le festival (…) La manifestation qui doit avoir lieu du 12 au 23 mai étudie avec attention et lucidité l’évolution de la situation nationale et internationale en concertation avec la Ville de Cannes et le CNC. Ils prendront ensemble, le moment venu, autour de mi-avril, la décision qui s’imposera.”

 

Arrêt des tournages

 

Autre conséquence de la propagation de l’épidémie de coronavirus sur le sol français, les calendriers des tournages et des productions dans les régions sont affectés. D’après Stephan Bender, du service communication de la Commission Nationale du Film France, “plusieurs producteurs sont très inquiets. La chance, c’est qu’il n’y a pas beaucoup de tournages de projets étrangers pour le moment. Cependant, l’inquiétude et les craintes ont franchi un nouveau cap avec l’intervention du président de la République le 12 mars, ce qui risque de provoquer l’annulation ou le report de tournages dans les semaines qui viennent.”

 

Le délégué général de la Mission Cinéma de la Mairie de Paris, Michel Gomez, a pour sa part déclaré que tous les tournages et les productions qui étaient en cours dans la capitale sont suspendus pour l’instant, et qu’aucune nouvelle autorisation de tournage ne sera délivrée jusqu’à nouvel ordre. En région Rhône-Alpes, si les calendriers ne sont pas clairement établis à la suite de ce bouleversement, plusieurs productions vont être décalées. Un tournage est reporté de façon officielle : celui du long métrage de Léa Mysius, Les cinq diables, produit par Trois Brigands Productions – il devait initialement avoir lieu fin mars, il est reporté au mois de septembre.

 

Alors que ses prises de vues avaient débuté le 18 février dernier et devaient se poursuivre jusqu’au 20 mars en Nouvelle-Aquitaine, le tournage du nouveau film de Ridley Scott, Le Dernier Duel, qui compte à son casting Ben Affleck, Adam Driver, Matt Damon et Jodie Comer, s’est arrêté le 12 mars et a été délocalisé en Irlande. De son côté, la coordinatrice générale de l’accueil des tournages en Bretagne, Delphine Jouan, affirme qu’il n’y a pour l’instant pas de visibilité pour savoir quel va être l’impact de l’épidémie sur les calendriers dans la région. “Les tournages en cours sont maintenus et continuent, mais la question se pose pour ceux prévus à partir du mois de mai.”

 

Enfin, pour Laurent Moreau, du bureau d’accueil des tournages du Limousin, le ralentissement très net voire l’arrêt complet des tournages va avoir d’importantes conséquences pour les équipes de production et les intermittents. Par ailleurs, l’arrêt des projets en pré-production et en préparation, ainsi que la tenue ou l’annulation des prochaines commissions de fonds de soutien, risque nécessairement d’avoir un impact sur les tournages prévus plus tard dans l’année, notamment ceux qui devaient initialement se tenir cet été. À ce sujet, il déclare que “nous ne savons pas si la commission qui doit se tenir dans le courant du mois d’avril recevra plus ou moins de projets que d’habitude”.

 

La TV à huis clos

 

Après l’interruption des retransmissions sportives, qui ont forcé les chaînes spécialisées à multiplier rediffusions et documentaires, la crise s’est répandue sur l’ensemble du paysage audiovisuel. Le confinement devrait certes gonfler les audiences des chaînes, particulièrement en journée, mais aucune d’entre elles ne s’en réjouit pour autant. Côté flux, si les tournages ont été maintenus dans un premier temps avec des mesures de prévention comme la prise de température ou la distribution de gel hydro-alcoolique, les émissions accueillant du public ont été d’abord tournées à huis clos (à l’image de Téléfoot, Touche pas à mon poste ou C’est Canteloup) avant d’être purement et simplement annulées. Le Tournoi des maestros de N’oubliez pas les paroles, dont la diffusion était prévue le 28 mars sur France 2, est annulé, comme les tournages de la quotidienne animée par Nagui. Idem pour Ninja Warriors sur TF1 (tournage prévu à Cannes du 7 au 14 avril) ou Intervilles sur France 2, reportés. La version française de Love Island, l’émission de télé-réalité en temps réel lancée le 2 mars sur Amazon Prime et produite par WeMake, a elle été annulée après deux semaines de diffusion depuis l’Afrique du sud. Même chose pour The Missing one, l’émission d’aventures d’Amazon Prime avec une douzaine de célébrités au casting, dont le tournage devait débuter en Australie.

 

Les jeux du service public continueront à être diffusés jusqu’à épuisement des stocks. La pandémie a également touché la fiction, avec dans un premier temps l’interruption du tournage des trois feuilletons quotidiens, Demain nous appartient (TF1), Un si grand soleil (France 2) et Plus belle la vie (France 3) pour au moins deux semaines. Si TF1 compte écouler son stock d’épisodes, la diffusion de Un si grand soleil a été interrompue au profit d’un journal de 20 heures allongé. Ce sont ensuite les producteurs des séries et unitaires qui ont dû revoir leurs plans, à l’image de la fiction Meurtres à Mulhouse, qui comme son nom l’indique devait être tourné dans la région Grand-Est, particulièrement touchée, et dont le tournage a été reporté dès le 13 mars. Les dernières mesures gouvernementales ont ensuite paralysé l’ensemble de la chaîne de production. Lundi 16 mars, France Télévisions confirmait ainsi que l’intégralité des tournages destinés au service public était suspendue.

 

Les chaînes de télévision adaptent leurs grilles

 

Confrontés à ces trous dans leurs grilles de programmes, les diffuseurs s’adaptent. France Télévisions a ainsi fait évoluer ses offres et sa programmation pour « servir utilement les Français face à la crise » en déterminant trois priorités. Premièrement, l’information et la proximité : toutes les éditions de France 2 et de France 3 sont renforcées, avec des éditions repensées « dans un souci d’interactivité et de dialogue avec le public afin de répondre aux questions que chacune et chacun se pose sur le Covid19 et sur la façon d’y faire face ». France Info est pleinement mobilisée pour assurer une couverture permanente de l’actualité, tant en linéaire sur le canal 27, que sur sa plateforme numérique. Les matinales de France 3 sont particulièrement tournées vers le service de proximité et le partage de bonnes pratiques.

 

Depuis le lundi 23 mars, La Maison Lumni, nouveau magazine quotidien éducatif, est diffusé sur France 4, France 5 et France.tv pour accompagner les révisions des 8 à 12 ans, avec un contenu éducatif élaboré en lien avec le ministère de l’Education nationale. En outre, en journée sur France 4, la priorité est donnée à une programmation ludo-éducative alternant contenus à vocation scolaire et programmes plus divertissants. Quant à Lumni, la plateforme éducative de l’ensemble de l’audiovisuel public, elle enrichit et actualise ses formats d’information à destination des enfants “afin de donner accès à tous les élèves de France, de la maternelle au lycée, à des contenus éducatifs, adaptés à chaque âge et indexés par matière et par niveau scolaire”.

 

Enfin, France TV Slash, l’offre numérique dédiée aux jeunes adultes, fait évoluer sa programmation et ses choix éditoriaux afin d’accompagner les jeunes publics dans ce contexte. Le lundi 23 mars, enfin, un nouveau magazine quotidien interactif a été lancé l’après-midi sur France 5 autour de conseils de praticiens et d’experts afin de répondre aux préoccupations spécifiques nées de la crise sanitaire. « Dans ce contexte totalement sans précédent, la télévision en clair a un rôle essentiel pour nos concitoyens, a réagi de son côté TF1. Notre mission d’informer est cruciale et celle de continuer à divertir est plus que jamais nécessaire ». Pour cela, la Une a décidé de « renforcer » ses pages d’information, et rappelle qu’elle propose à travers ses huit chaînes et MyTF1 « une offre large et diversifiée pour permettre aux téléspectateurs des moments de divertissement et d’évasion familiaux de qualité. Malgré les difficultés, nous avons la volonté de continuer à maintenir ce lien social avec les Français en adaptant en temps réel nos grilles aux nécessités de l’information et aux contraintes de production ».

 

Du côté des chaînes payantes, Maxime Saada, président du directoire de Canal+, a annoncé que la chaîne est désormais diffusée en clair sur toutes les box, avec pour les abonnés un accès ouvert à toutes les chaînes cinéma, séries, jeunesse et documentaires. Les chaînes OCS sont également disponibles pour tous les abonnés Orange (hors Replay).

A l’export

 

Concernant la distribution des contenus audiovisuels, TV France International, l’association des exportateurs de programmes audiovisuels français, nous a fait savoir, par la voix de sa déléguée générale, Sarah Hemar, qu’il était « encore tôt pour avoir des éléments objectifs sur les effets de la crise ». Toutefois, l’annulation des divers marchés est logiquement un coup dur pour la distribution, « un métier où le contact et la rencontre restent clés ». Mais les vendeurs n’abandonnent pas : « des rendez-vous calés au MipTV se feront par exemple par téléphone ». Par ailleurs, TV France International prend plusieurs mesures et a décidé notamment de maintenir sur Screenopsis, sa plateforme de visionnage et base de données concernant les programmes français, le corner qui devait être dédié au MipTV. Et ce corner, qui permet de voir les contenus des sociétés qui devaient être présentes sur le stand de TV France International au marché, est ouvert aux membres de l’association qui devaient avoir leur propre stand. Enfin, chaque société était auparavant invitée à exposer quatre programmes, elle pourra dorénavant en exposer dix. Ces initiatives seront évidemment communiquées aux acheteurs étrangers.

 

 

Rodolphe Casso, Raphaël Porier, Lucas Fillon, Nicolas Colle, Pierre Sévin-Allouet