Eclectique pas toc - L'édito d'Eric Libiot
Les chiffres sont tombés alors que les cadeaux étaient déjà déballés et que certains attendaient d’être revendus. En 2024, la fréquentation des salles françaises atteint 181,3 millions d’entrées, soit 1 million de plus qu’en 2023. Cerise sur le sapin, les films français se sont particulièrement bien comportés puisqu’ils sont trois dans le top 10 : Un p’tit truc en plus (1er), Le Comte de Monte- Cristo (2ème), L’Amour ouf (5ème). Cocorico ! - titre d’un film tricolore classé 15ème ; c’est dire si ses producteurs sont malins. Pour parfaire ce beau tableau, il faut aussi noter les performances, peut-être moins prévisibles, de Vingt dieux, de L’histoire de Souleymane et d’En fanfare. Également la belle réussite de Monsieur Aznavour et, bien sûr, d’Emilia Pérez, qui vient de remplir sa hotte de Golden Globes en attendant les Oscars ; il a de grandes chance de remporter la statuette du meilleur film étranger qui avait échappé à Un prophète du même Jacques Audiard au profit de Dans ses yeux de l’argentin Juan José Campanella (bien mais pas à ce point non plus, faut pas exagérer).
Que Souleymane tienne la main d'Edmond Dantès relève tout de même d'une formidable exception - au sens premier du terme.
De quoi se réjouir et on s’en réjouira puisqu’il n’y a pas tant d’occasions de se réjouir. Mais ces beaux chiffres sont tout de même lés à une situation plus conjoncturelle que structurelle. D'abord, une offre américaine faiblarde due, on le sait, à une grêve à Hollywood. qui a retardé les sorties de quelques blockbusters potentiellement gourmands en entrées. Ensuite, un alignement des planètes de la production française qui a présenté tous ces films cette même année 2024 alors que le temps de finalisation est différent d’un titre à l’autre - deux ans, trois ans voire cinq pour L’Amour ouf. Enfin un festival de Cannes qui a su donner goût à ces films, la plupart ayant été présents sur la croisette.
Rien ne dit que 2025 sera de la même couleur. Absolument rien. Mais il ne faudra pas se lamenter si ce n’est pas le cas : le public français, de tous âges, c’est important, a retrouvé de l’appétence pour son cinéma grâce à une production particulièrement éclectique. Elle ne l’était pas autant ces dernières années. Que Souleymane tienne la main d’Edmond Dantès relève tout de même d’une formidable exception - au sens premier du terme. Dans un même ordre idée qualitatif, tous les films américains réunis dans le Top 10 cette année sont des suites ou des franchises et jouent plus du coude qu’ils ne se donnent la main. S’ils ne reflètent pas l'entièreté de la production étatsunienne, ils relèvent un manque d'inspiration certain. Hollywood va sans doute devoir se remettre (un peu) en question.
Une fois tout cela écrit, est- ce que le schmilblick a avancé ? Pas vraiment. C’est toujours ce qu’il y a d’amusant et de paradoxal quand on cogite sur les succès, les échecs, l’offre et la demande au cinéma : rien n’est sûr, tout est aléatoire et les prototypes que sont les films ne se mettent pas en conserve. On se réjouit donc vraiment (l‘ai-je déjà mentionné ?) mais la balle est remise au centre à chaque fois. Il faut se garder de trop de satisfaction. Et pourtant. Vous je ne sais pas mais moi j’ai quand même l’impression qu’il s’est passé quelque chose. Comme un p‘tit truc en plus. Ces applaudissements unanimes, pertinents, collégiaux et sincères sont suffisamment rares pour qu’on imagine les répéter à l’envi.