Coup de gueuloir - L'édito d'Eric Libiot
Le ciel automnal ayant tendance à s’arrimer à un niveau très bas, prenons de la hauteur. Cette année, les Rencontres de l’ARP, organisées au Touquet, se sont ouvertes sur un débat peu courant, et même à rebours des discussions qui s’ébattent ici ou là et dont les sujets sont souvent si précis qu’ils se rangent dans des niches. Chacun prêche alors pour sa paroisse, sa maison ou son bistrot (image laïque). Il faut sans doute le faire finalement puisque chacun construit au mieux sa paroisse, sa maison ou son bistrot (bis) mais la question se pose pourtant : sur quel terrain ? D’où l’intérêt de ce débat : “La culture : indispensable à la démocratie, absente dans le débat politique ?” Oui elle est indispensable, oui elle est absente. C’est un bon début.
Vincent Martigny, professeur de science politique, a rappelé que depuis les années 80, pas un seul président de la République n’a tenu un discours culturel digne de ce nom. C’est à dire un discours ambitieux, possiblement critiquable, puisqu’on est en démocratie, mais qui s’attache à éclairer la façon dont l’État peut construire une politique culturelle. Ni Chirac, ni Sarkozy, ni Hollande, ni Macron. Quand il s’agit de discourir sur les impôts, les narcotrafiquants ou les jours de carence, il y a du monde mais s’il faut se battre pour que la culture soit portée par un ministère régalien, c’est courage fuyons ! C’est tout de même malheureux d’en revenir toujours à Jack Lang qui n’habite plus rue de Valois depuis trente ans. Tout le monde se moque dès qu’il cire les pompes de l’un ou de l’autre, et plus souvent quand l’un ou l’autre vient de décéder, mais il faut bien reconnaître qu’il a fait le boulot, que tout le monde s’en souvient, et qu’après lui c’est le désert.
La gauche pense que tous les artistes la suivent donc elle ne fait rien ; la droite imagine que tous les artistes sont de gauche donc elle ne fait rien.
Le débat de l’ARP, visible sur Youtube, a mis en lumière les différentes approches des intervenants sur le sujet, comme s’il fallait découper la culture en tranches pour mieux la goûter. Le cinéaste Olivier Casas a souligné l’importance économique de la culture, plus costaude que l’agriculture ou l’industrie pharmaceutique (qu’on se le dise). Xavier Bertrand, le patron des Hauts-de-France, lui a reproché son discours chiffré car trop limité et a dit son amour pour le service public (!). Quant à la productrice Solène Saint-Gilles et à la patronne du théâtre de la concorde Elsa Boublil, elles ont salué le lien social de la création. Mais tout le monde a rappelé la nécessité de mener une réelle politique culturelle éducative.
Cela dit, Vincent Martigny a tout de même souligné, en creux, un point important : la gauche et la droite s’étant mis d’accord, et c’est tant mieux, sur l’exception culturelle, le débat général s’est fossilisé dans le consensus. Et on peut rajouter : la gauche pense que tous les artistes la suivent donc elle ne fait rien ; la droite imagine que tous les artistes sont de gauche donc elle ne fait rien. Résultat : 0-0, balle au centre et le score n’évoluera pas.
Il faut donc s’engueuler. Intelligemment si possible, et c’est possible. À l’État d’en inventer le cadre : maison de la culture, réseaux sociaux, émissions de télé, salles de cinéma, bistrots du coin, places publiques… Le gueuloir cher à Flaubert, où il déclamait ses écrits pour mieux les juger et les corriger, pourrait trouver une autre fonction ; chacun viendrait s’y quereller et parfois s’y convaincre. La culture ne mérite pas de consensus mais nécessite des échanges. On peut aussi profiter de l’occasion pour relire Flaubert.