L'œil de la rédaction : Oui, les jeunes vont au cinoche
Remous et escarmouches. Il y a un mois, le documentaire Kaizen, sur l’ascension de l’Everest du YouTuber star Inoxtag (8,67 millions d’abonnés), distribué les 13 et 14 septembre sur un nombre illégal (mais record) de plus de 800 copies via un visa exceptionnel, provoquait fonde et levée de boucliers du secteur. Quelques jours plus tard, lors du Congrès des exploitants de Deauville, Mk2 osait justifier le dépassement des 500 copies maximales par un simple "emballement" et préférait se réjouir de “voir les ados revenir dans les salles". Sous-texte : les jeunes ne vont plus au cinoche. Sous-sous-texte : en France, on fait la fine bouche devant les coups d’éclat.
Pas vraiment. Les jeunes n’ont pas besoin d’un influenceur hypé dans un film ultra-hypé (avec larmes, images chocs, musiques grandiloquentes, émotions de papa et maman et violon en fond) pour oser pointer leur nez dans une salle obscure. Ni d’un Marvel, Jake Sully ou d’un Ryan Reynold d’ailleurs. Au contraire, c’est même l’une des classes d’âge qui s’y rend le plus régulièrement en France, derrière les séniors : les 60 ans et plus consomment en moyenne 6,1 entrées par spectateur sur l’année, et les 20-24, 4,6 entrées selon les chiffres du CNC. Au total, 84,8 % des 15-24 ans sont allés au moins une fois au cinéma en 2023, soit le plus haut niveau depuis 2015 (89,4 %).
2024 risque de faire encore mieux. Les percées d’Un p’tit truc en plus (10,8 millions d’entrées), du Comte de Monte-Cristo (9,1 millions), des surprenants Golo & Ritchie (432 000) et Terrifier 3 (430 000 en deux semaines et demie, malgré son interdiction aux moins de 18 ans), ou le démarrage rutilant de L’Amour ouf (1,9 million en dix jours), en pleines vacances de la Toussaint, le démontrent plus que jamais. L'œuvre de Gilles Lellouche est d’ailleurs un cas d’école en la matière : les 15-24 ans représentent un tiers des spectateurs sur sa première semaine, selon l’institut d’études marketing Vertigo. Et fait donc jeu égal avec les franchises américaines les plus affriolantes (27 % de 15-24 ans pour Deadpool & Wolverine, 25 % pour Dune 2 et 20 % pour Monte-Cristo).
Les prochains mois nous diront si ces succès relèvent plutôt de l’offre ou de la demande, c’est-à-dire de productions bien huilées fabriquées pour cette cible ou d’un soudain regain d’intérêt pour le septième art. Et si ces entrées ont ruissellé sur des films plus confidentiels ou se sont concentrées sur ces gros titres. En tout cas, même la Palme d’Or Anora de Sean Baker, que Le Pacte sort ce 30 octobre, chasse les jeunes à grand renfort de spots digitaux et d’une bande annonce survitaminée.