Et à la fin, c’est le cinéma qui gagne - L'édito d'Eric Libiot

8 novembre 2023
Eric Libiot, rédacteur en chef d'Ecran total, livre son point de vue sur la semaine écoulée et sur les enjeux de celles à venir.

En introduction du film de Lubna Playoust Chambre 999, qui interroge des cinéastes sur leur métier, Wim Wenders se demande si le cinéma n’est pas « un langage en train de se perdre, un art qui va mourir ».

Il est sérieux, Wim. Il est d’ailleurs toujours sérieux. Pas du genre à faire dans l’ironie, le second degré ou la gaudriole (ça se saurait). Il y croit vraiment à sa question. Pardon Wim, mais cette question est tellement récurrente et passe-partout, voire banale, qu’il est possible d’envisager sérieusement qu’elle ait déjà été posée avant même que le cinéma ne soit inventé. Les assassins (supposés) ont été nombreux et le sont encore…

Le parlant va tuer le cinéma, la couleur va tuer le cinéma, la télévision va tuer le cinéma, le numérique aussi, la 3D pourquoi pas, la 4 E et la 5 G, la nouvelle vague un peu mais pas plus que l’ancienne, le téléphone portable, le beau temps et les tempêtes, les punaises n’en parlons pas, d’ailleurs on n’en parle plus, les multiplex sans complexes, le pop-corn, les blockbusters, les super-zéros, le Covid, le coplein, les suites, les préquels, les postquels, les reboots de sept lieues, les plates plateformes, les séries et les saisons… n’en jetez plus ! Ah si tiens, une dernière : l’intelligence artificielle. Alors qu’il faudrait plutôt se demander si le souci, si souci il y a, ne serait pas le manque d’intelligence réelle.

Quid de 2023 qui bientôt touche à sa fin

La fréquentation a légèrement baissé en octobre, à cause notamment d’une alliance contre-nature du rugby et des insectes hétéroptères, mais sur les dix mois de l’année elle reste au-dessus de 2022 sur la même durée - on prend le pari qu’elle reviendra peu ou prou à l’étiage d’avant le covid. La cour des comptes a secoué le cocotier du CNC et des aides allouées aux films (et non pas des subventions) ; il y en a trop, elles ne sont pas forcément pertinentes ni toutes efficaces. D’accord. Sans doute faut-il faire un peu de ménage mais surtout pas sur le dos des films supposés de pas faire d’entrées - « supposé » idiot en soi. Oui, pour faire un peu de ménage mais garder les fondations. Garder les fondations, c’est simplement ce qu’a dit Justine Triet au moment de recevoir sa palme d’or et que certains ont fait exprès de ne pas comprendre. Il faut aussi revaloriser, encore et toujours, le métier de scénariste. Et pas seulement financièrement. Culturellement également. La tradition française venue de la nouvelle vague s’est nourrie du peu de reconnaissance des plumitifs. On en a longtemps payé le prix. Il est étrange qu’au pays des lettres, ces lettres-là aient été si peu applaudies. Heureusement, les derniers films à succès comptent à leur générique des duos cinéaste/auteur qui font du bien. Le pli semble pris, il ne faut pas lâcher le morceau de tissu. Aujourd’hui les scénaristes se battent contre l’intelligence artificielle supposée les renvoyer aux oubliettes (cf. la grève à Hollywood). Et le débat est sur la table, notamment aux Rencontres de l’ARP au Touquet. Bien sûr qu’ils faut râler. Bien sûr qu’il faut manifester. Être attentif à tout. Et s’alarmer si besoin. Mais, comme souvent, le monde économique, technologique et industriel avance plus vite que les piquets de grève. Le cinéma doit donc apprivoiser cette nouvelle venue censée lui faire du mal. Il va s’y mettre, il s’y met déjà. Mais ne vous inquiétez pas, cher Wim, vous pouvez continuer à tourner : le cinéma est plus fort !