Philippe Carcassonne : « Le budget médian des films français n’a cessé de baisser »
Après « The Father », vous avez à nouveau collaboré avec Florian Zeller avec « The Son » qui sortira le 1er mars. Que retenez-vous de cette deuxième expérience commune ?
C’est un film qui s’inscrit dans le sillon de The Father puisqu’il s’agit d’une adaptation d’une autre pièce de théâtre de Florian qui aborde ici la thématique des adolescents en détresse psychologique. The Father était une coproduction franco-anglaise tandis que The Son est une production anglophone pleine et entière. Mon implication a donc été moindre mais je suis fier d’avoir pu accompagner une œuvre aussi forte et émouvante. Nous voulions tourner aux Etats-Unis mais la difficulté de mettre en place un tournage en période de Covid sur le territoire américain, principalement en raison d’assurances exorbitantes, nous a contraint à tourner en Angleterre.
Et vous vous apprêtez à collaborer à nouveau avec Anne Fontaine à l’occasion d’un film consacré à Maurice Ravel, qui sera interprété par Raphaël Personnaz…
Boléro est un film qui, en retraçant les circonstances de la composition de l’œuvre la plus célèbre de Ravel, s’attache à explorer les mystères de la création. Nous tournons le 8 mars prochain. Le budget est de l’ordre de 12 millions d’euros. Les mandats de distrubution sont détenus par SND, avec la participation de Netflix en pay tv, de France 2 en free tv, de l’Avance sur Recettes et d’un coproducteur belge (Artemis Productions). Sans oublier Cinéfrance Studios et F comme Film.
Selon vous, la crise a t’elle changé la production et les partenaires sont-ils devenus plus frileux ?
Les budgets ont été clairement impactés. Si on se réfère aux chiffres officiels du CNC, on constate que le budget médian des films français n’a cessé de baisser depuis 2016 (et il se situe en 2021 au même niveau qu’en 2002, en dépit de l’évidente augmentation de tous les coûts). De plus, malgré quelques embellies, le retour des spectateurs en salles demeure timide. La fréquentation du 2ème semestre 2022 a été plus faible que celle du 2ème semestre 2021 alors que toutes les restrictions sanitaires avaient été levées. Et dans ce cadre là, le cinéma français cède du terrain. Je suis heureux des résultats de grosses productions françaises comme Simone – le voyage du siècle ou Novembre qui ont dépassé les 2,5 millions d’entrées mais, s’il y a toujours eu des films français à plus de 4 millions d’entrées chaque année depuis longtemps, ce n’était pas le cas l’an dernier. Je constate aussi que l’on continue de faire toujours plus de films à moins de 4 millions d’euros. Cette tendance marque un recul par rapport aux années pré-Covid. Je ne pense donc pas que nous ayons repris nos habitudes de fréquentation et de production telles que nous les connaissions avant la crise.
Pourtant ce ne sont pas les partenaires qui manquent (SOFICA, chaînes de télévision, régions, plateformes) pour générer des investissements conséquents ?
Il est vrai qu’il y a une multiplicité de partenaires mais qui n’est pas nouvelle. Néanmoins, je constate que les diffuseurs prennent moins de risques que précédemment, notamment suite à la suppression de la redevance même si cette dernière a été remplacée par une dotation budgétaire complète mais qui n’est renouvelable qu’année après année. Dès lors, les chaînes doivent investir dans des projets susceptibles de générer de fortes audiences qui justifient cette dotation budgétaire. Ce qui entraine une politique plus commerciale de la télévision publique. Je déplore que la tradition du cinéma français qui a toujours fait la part belle aux films du milieu, c’est à dire des œuvres exigeantes avec un casting identifié et des budgets conséquents, soit en voie de récession. On se dirige vers un marché radicalement plus binaire que l’on retrouve dans de nombreux pays, avec des grands films de divertissement confortablement produits et diffusés d’un côté, et des films d’auteurs restreints à tous égards de l’autre. Et au milieu, plus rien. La France avait su protéger son cinéma de cette tendance culturellement appauvrissante. Il n’est pas sûr que ce soit encore le cas.
Qu’attendez vous de l’appel aux états généraux du cinéma dans lesquels vous êtes impliqué ?
Nous pensons qu’il est nécessaire de mener une réflexion transversale qui dépasse les négociations sectorielles que chaque syndicat de chaque profession peut mener de son côté et qu’il y a un examen à faire vis-à-vis de la politique culturelle de l’État en matière de cinéma. Des questions doivent être posées aux pouvoirs publics sur la manière dont ils envisagent l’avenir. Je constate qu’il y a encore des efforts très importants consentis à l’infrastructure industrielle, avec un plan de relance ambitieux, La Grand Fabrique de l’Image, qui est doté de 350 millions d’euros. Il ne s’agit pas de contester le bien fondé ou le niveau des aides publiques pour moderniser les infrastructures de la filière, il s’agit de s’interroger sur le soutien à la création alors que le cinéma est confronté à une période complexe. La ministre a rappelé que le cinéma a déjà traversé des crises et s’en était toujours sorti. Certes, mais parce qu’il a toujours bénéficié d’une relance politique, et pas nécessairement sous forme d’une augmentation des aides publiques, mais plutôt par des dispositifs réglementaires qui donnaient aux nouveaux acteurs des obligations de soutien à la production cinématographique. Or, nous n’avons pas le sentiment que cette riposte règlementaire ait été maintenue avec vigueur. Certes, il y a eu les accords SMAD. Mais de là à déclarer qu’il s’agit de « la meilleure nouvelle depuis la création du CNC », je trouve cela trop enthousiaste quand on examine l’impact réel de ces mesures sur le financement du cinéma.
Et qu’attendez-vous du gouvernement en terme de politique culturelle ?
C’est le cœur de notre débat. Si les discours affirment un attachement à l’exception culturelle, à la souveraineté culturelle et à l’importance du cinéma par rapport à d’autres expressions audiovisuelles, la pratique des pouvoirs publics nous semble moins affirmée. Notre démarche vise à obtenir une clarification. Soit ces contradictions sont de bonne foi et il y a des ambiguïtés à lever, soit elles dissimulent un autre modèle culturel naissant. Je suis un peu alarmé par le fait que dans le cadre de la promotion de son livre, Madame Bachelot répète à l’envi que le cinéma est un secteur complètement assisté et intégralement dépendant de l’argent public. C’est faux. Les investissements privés restent largement majoritaires et une grande partie de l’argent public versé au cinéma est dû au fonds de soutien qui est généré par le cinéma et rendu au cinéma. Il est préoccupant qu’une ancienne ministre de la Culture entretienne de telles idées reçues qui sont désormais ancrées dans l’inconscient collectif et qui nuisent injustement à tout notre secteur. Même le crédit d’impôt permet de générer des dépenses sur le territoire qui contribuent à équilibrer ce même crédit d’impôt : si nous tournions nos films à l’étranger, ou si nous ne les tournions pas du tout, l’État serait privé des recettes fiscales et sociales, directes ou indirectes, acquittées par nos productions. Il est urgent que les pouvoirs publics et les professions du cinéma retrouvent des objectifs communs.