Eric Lagesse : "Arrêtons de nous référer à 2019"

22 décembre 2022
Le président de Pyramide Distribution, Eric Lagesse, revient sur l’année que vient de vivre sa société, entre performances et déceptions. Il évoque aussi la nécessité pour la filière de s’adapter à un nouveau marché.

Quel bilan tirez-vous de l’année de Pyramide ?

Cela a été une année chargée puisque nous avons sorti 19 films en raison des retards que nous avions accumulés. Habituellement, nous programmons 12 à 15 sorties chaque année. Ce rythme effréné a été très intense pour les équipes qui ont dû rester créatives pour sortir un film quasiment toutes les deux semaines. Nous avons pu nous appuyer sur des valeurs sûres comme Thierry de Peretti, Emmanuel Mouret ou Mikhaël Hers qui ont plutôt performé même si la notion de performance est devenue très relative. Ce sont des auteurs que nous suivons depuis longtemps et je suis heureux de voir leurs entrées progresser voire se maintenir ou ne pas s’effondrer. Cela dit, force est de constater qu’une partie du public art et essai manque encore à l’appel. Faire notre plus gros succès cette année avec Chroniques d’une liaison passagère (320.000 entrées), ce n’est tout de même pas ce que j’avais espéré même si je le prends comme un cadeau par les temps qui courent.

Quelle analyse faîtes-vous de l’état général du marché cette année ?

Je suis ravi pour mes confrères qui ont connu le succès avec des œuvres de qualité comme la Nuit du 12As bestasRevoir Paris, les Enfants des autres ou l’Innocent. Cela nous incite à penser qu’il y a encore une appétence pour le bon cinéma d’art et essai, mais c’est l’arbre qui cache la forêt. Il nous faut vraiment nous interroger sur l’avenir du cinéma français ainsi que sur le renouvellement des talents. Même si ce n’est pas un résultat déshonorant au regard des résultats générés en ce moment par de nombreux premiers films, je déplore qu’une œuvre comme le Sixième enfant, qui rafle quatre prix au Festival d’Angoulême, ne fasse pas plus de 90.000 entrées. Tout comme les Pires, encensé par la presse et lauréats de nombreux prix, qui ne dépassera pas (sans doute) les 50.000 entrées. Si notre travail est de maximiser les entrées de nos films, il consiste aussi à révéler des auteurs. C’est clairement le cas sur ces deux films qui qui ont permis d’identifier des metteurs en scène comme Léopold Legrand, Lise Akoka et Romane Gueret. J’espère que notre travail combiné à leur talent et à celui de leurs producteurs/productrices leur permettront de faire leur second film.

Selon vous, comment le secteur de la distribution doit-il s’adapter à ces nouveaux paramètres ?

La vérité, c’est qu’il faut arrêter de nous référer àNous sommes dans un monde nouveau, avec un nouveau marché et un nouveau public. D’où la nécessité d’ajuster nos investissements au potentiel public de chaque film. Le monde bouge. Peut-être va-t-il se stabiliser ? Mais je ne crois pas que nous retrouverons les chiffres d’avant 2020 ! Alors à nous de nous adapter. Comment ? Je ne sais pas encore… je réfléchis, je cherche, je tire des conclusions. Certains films deviennent désormais trop pointus pour le public contemporain qui, me semble-t-il, a moins le goût du risque, se déplace sur un "pitch" très identifié qui le rassure, auquel il peut lui, s’identifier. Le paradoxe, c’est que ces mêmes spectateurs (j’entends "d’art et essai") ne veulent plus voir de films trop formatés type grosses comédies françaises qui ces derniers mois n’ont pas performé quand les jeunes continuent à plébisciter les Marvel très formatés. Il nous faut trouver notre place au milieu de ce tsunami. Pour la sortie de Radio Metronom le 4 janvier, nous essayons de mettre en avant l’aspect "film d’histoire" doublé d’un suspense policier (des étudiants roumains enentre les mains de la Securitate) afin d’élargir son potentiel. Cela devient toujours plus complexe de sortir des films d’auteurs non-français voire non-anglais et l’avenir n’est pas rassurant. On peut se féliciter des scores de nos auteurs identifiés mais il y a tout un vivier de jeunes talents qu’il faut continuer d’aider à éclore. Mais jusqu’à quand parviendrons-nous à le faire ?