Aurore Bergé : « Garantir les ressources de l’audiovisuel public »
Nous sommes entre les deux tours de l’élection présidentielle et à quelques mois des élections législatives. Quel bilan faites-vous de cette législature, notamment pour ce qui concerne le secteur du cinéma et de l’audiovisuel ?
En 5 ans, et malgré un calendrier parlementaire considérablement bouleversé par la crise sanitaire, qui aurait pu imaginer que nous ayons été aussi dynamique sur les enjeux de lutte contre le piratage, la création d’une nouvelle autorité de régulation avec la fusion entre l’Hadopi et le CSA, et surtout des accords historiques pour préserver la diversité culturelle avec des financements nouveaux pour l’audiovisuel et pour le cinéma, et ce, grâce à la transposition de la directive SMA. Ce sont des accomplissements très significatifs. A ceux-là, s’ajoute une trajectoire budgétaire respectée pour l’audiovisuel public. Des efforts budgétaires ont été demandés à l’audiovisuel public, et celui-ci les a réalisés. Mais en contrepartie, pour la première fois, le service public a bénéficié de visibilité, sans changement de trajectoire budgétaire, contrairement à ce qui se produisait auparavant. France 4 a été maintenue comme une chaîne dédiée à la jeunesse et à la culture avec une grande place consacrée au spectacle vivant avec Culture Box. Cette initiative liée à la crise sanitaire représente une avancée durant le mandat.
Au cours des 5 dernières années, quels projets auriez-vous souhaité voir s’accomplir et qui ne l’ont pas été ?
Lorsque je suis devenue députée, beaucoup considéraient que l’audiovisuel public et la télévision linéaire étaient obsolètes et la TNT sans avenir. La crise sanitaire a fait rejaillir l’importance de la télévision linéaire pour les Français, et la pertinence de la TNT en matière de diversité d’accès à l’information, au divertissement, à la culture, à la fiction de manière gratuite sur l’ensemble du territoire. Il y a bien sûr la question du financement de l’audiovisuel public. Nous avons affirmé qu’en cas de réélection la redevance serait supprimée, tout en garantissant les ressources de l’audiovisuel public.
Donc, en cas de réélection du président Macron, la redevance sera supprimée en l’état et prendra une nouvelle forme…
Cet engagement pris par le président et candidat sera tenu. Les 138 € de redevance seront rendus aux Français dans une période tendue à cause de l’inflation, mais aussi parce que l’assiette n’était pas tout à fait juste. Est-ce équitable que celles et ceux qui consomment des programmes télévisuels mais n’ont pas de téléviseur ne payent rien, tandis que d’autres supportent la taxe. Etait-ce une ressource pérenne ? Est-ce juste que l’ensemble des ménages, quelle que soit leur composition et leur revenu paient le même montant ? Quoiqu’il en soit, nous savions que la redevance méritait d’être révisée. Là, nous avons fait un choix politique qu’il faut assumer. Mais la redevance, à l’inverse du projet de l’extrême droite, n’est en aucun cas la privatisation et la suppression de l’audiovisuel public. Il faut que la contrepartie de la suppression de la redevance garantisse l’indépendance de l’audiovisuel public.
Dans une nouvelle formule de la redevance, l’assiette serat-elle élargie à d’autres types d’équipements que le poste de télévision ?
Non, nous n’allons pas créer d’impôt, ni de taxe nouvelle. L’audiovisuel public sera financé sur le budget de l’Etat. Il l’est d’ailleurs en partie, puisque l’Etat, ayant mis en place des exemptions pour un certain nombre de publics, on paye moins en Outre-mer que dans l’Hexagone. Certains publics sont déjà exemptés en fonction de l’âge ou du handicap.
Donc suppression de la redevance en tant que telle…
Mais garantie de l’indépendance de l’audiovisuel public, ce qui veut dire un niveau conséquent de ressources pour assumer les missions qui sont les siennes. Peut-être aussi que cela imposera à l’Etat en tant qu’actionnaire, et aux parlementaires une mission de contrôle sur les objectifs de l’audiovisuel public. Nous ne devons pas intervenir sur la ligne éditoriale. Il s’agit d’un service public, dans lequel tous les Français se reconnaissent avec une diversité des antennes, des chaînes, des fictions et des débats. Je crois que c’est très clairement la direction qui a été prise par Delphine Ernotte.
Une des craintes exprimées par le secteur concerne l’incertitude budgétaire et l’impact sur les programmes.
Au début du mandat, des efforts budgétaires ont été demandés à l’audiovisuel public avec une trajectoire budgétaire d’une réduction de 180 M€. Elle a été légèrement corrigée à la hausse pendant la crise. Mais la trajectoire budgétaire a été tenue, sans toucher à la qualité du service, ni à la création. Les budgets de la création ont continué à augmenter tout au long du mandat. Les présidents de l’audiovisuel public, les équipes, les journalistes ont démontré avec les sociétés de production leurs capacité à innover, à se renouveler avec des modèles différents. J’entends les inquiétudes des collaborateurs internes et externes qui s’expriment. L’objectif n’est pas de fragiliser cet écosystème mais de garantir des ressources qui permettent l’indépendance de l’audiovisuel public. Il faut donner de la visibilité en précisant les missions assignées à l’audiovisuel public. Quant au niveau de ressources, qu’il soit prélevé sur le budget de l’Etat, ou le fruit d’une taxe ou d’un impôt, en vérité, il s’agit de l’engagement de l’Etat, et c’est le parlement qui vote à la fin.
Dans ce paysage audiovisuel, figure également le projet de fusion entre TF1 et M6…
Ce n’est pas aux parlementaires de juger d’un projet industriel et de sa pertinence. L’autorité de la concurrence a été saisie, l’ARCOM aussi a fait un certain nombre d’auditions. Nous, nous avions fait une audition conjointe des directions et des présidents d’M6 et TF1, avec la commission des affaires culturelles et de la commission des affaires économiques. Ce qui m’importe, au cas où l’autorité de la concurrence donne un avis favorable, c’est de conserver le même niveau d’exigence sur l’accès à l’information et de la diversité des programmes et de leur financement.
Quel bilan tirez-vous des échanges avec les plateformes ?
C’est un premier pas essentiel. Dans le projet sur l’audiovisuel, j’ai tenu à poser des gardes fous sur la production déléguée et sur la production indépendante. Car la question de fond ne porte pas seulement sur le montant de l’investissement de Netflix en France, et demain d’Amazon, de Disney ou d’autres plateformes, mais de l’utilisation des investissements réalisés et la manière dont les droits des différents acteurs sont respectés. Il y a la directive sur les obligations de financement, de contributions et de diversité. Nous avons veillé à mettre deux couloirs de financement: le cinéma d’un côté, et l’audiovisuel de l’autre. Enfin, les accords de financement : Netflix apporte 40 M€ par an pour l’instant mais on espère que ça ira en augmentant, et peut-être qu’ils feront plus d’investissements dès la première année.
Travaillez-vous sur des projets d’augmentation des crédits d’impôt ?
Cela fera l’objet d’une discussion au moment du projet de loi de Finances. J’ai porté cette discussion chaque année. Nous avons pérennisé un certain nombre de crédits d’impôt. Il s’agit d’industries ayant besoin d’un environnement fiscal au même niveau que les autres pays comparables. Notamment sur les effets visuels, les jeux vidéos comme le Canada, donc c’est ça qu’on doit réussir à créer. C’est pareil, on le voit bien sur le crédit d’impôt international, l’impact que ça a décisif sur la relocalisation des tournages et sur la revalorisation des territoires.
Propos recueillis par Michel Abouchahla