La bonne santé des adaptations littéraires

7 avril 2022
Conséquence inattendue de la pandémie, le confinement a rapproché le livre et l’écran de télévision
BigLittleLies

Sagas familiales 

Même constat au sein du groupe Editis où les masterclasses « Du Livre à l’écran », rencontres thématiques d’une demi-heure, lancées au début de la pandémie ont été pérennisées en raison de leur succès. « Chaque fois, ce sont plus de 200 producteurs qui se connectent », précise Alexandra Buchman, directrice des droits audiovisuels du groupe. «Certains titres de nos catalogues n’auraient pas été vendus sans cela. Cela a contribué à bien faire connaître toutes nos maisons et à bien ancrer les relations avec les producteurs. » Ainsi au cours de la période 2020- 2021, le nombre d’options audiovisuelles signées par Editis a été multiplié par deux. L’installation des plateformes dans le paysage audiovisuel et l’évolution des habitudes vers une consommation plus délinéarisée ont généré une forte hausse des demandes d’adaptation avec un glissement du cinéma vers la télévision. « La plupart de nos contrats sont désormais des contrats audiovisuels plus que cinéma », poursuit Alexandra Buchman. « C’est une évolution qui correspond au marché avec l’arrivée des plateformes mais elle tient aussi au confinement ». Ce glissement est également perceptible au sein de Flammarion où on assiste « au retour à une tendance en faveur des séries sur les cinq dernières années », indique Delphine de La Panneterie, responsable des droits audiovisuels. « Actuellement, on signe principalement des contrats pour la télévision. La proportion est d’environ un tiers pour le cinéma et deux tiers pour la télé ». Cette modification du paysage des adaptations s’accompagne d’une évolution des demandes éditoriales des producteurs et des diffuseurs même si certaines grandes tendances perdurent comme l’a démontrée la récente série Germinal tirée de l’ouvrage d’Emile Zola et diffusée sur la plateforme Salto. La série “Big Little Lies” de David E. Kelley (HBO) La bonne santé des adaptations littéraires Le policier et le thriller demeurent des valeurs sûres, rappelle Alexandra Buchman citant en exemple Le Syndrôme E de Franck Thilliez (Fleuve), adapté pour TF1 et en compétition à Séries Mania. Autre exemple : «Néo » de Michel Bussi (Pocket Jeunesse) dont les droits ont été pris pour une série internationale par Authentic Prod et StudioCanal. Viennent ensuite les témoignages, documents et investigations. « L’héroïne ordinaire à laquelle il arrive des choses extraordinaires reste un sujet qui intéresse les producteurs », précise Alexandra Buchman. « Mais nous explorons d’autres thématiques comme les sagas familiales qui se prêtent bien au format sériel. Et dans une prochaine séance, nous allons faire quelque chose autour de l’environnement et de la nature ». L’intérêt croissant pour les sagas s’est affirmé ces dernières années avec un caractère historique qui n’effraie plus les diffuseurs en raison des coûts induits par ce genre. C’est le cas de La dernière Bagnarde de Bernadette Pécassou, paru chez Flammarion en 2011. « C’est un ouvrage qui avait un gros potentiel d’adaptation mais les réponses que j’avais à l’époque de sa parution était que ce serait trop cher à faire », se souvient Delphine de La Panneterie. « Certains ouvrages tardent à être adaptés malgré leurs qualités évidentes pour un passage à l’écran. Il y a des effets de mode. Et puis il y a aussi un hasard dans cette rencontre entre un livre et un producteur ou un réalisateur. Cela fait partie des plaisirs de ce métier », complète Laure Saget. Les histoires de société très contemporaines sur le modèle de la série Big Little Lies de David E. Kelley sur HBO ont aussi le vent en poupe. «Pendant quelques temps, on a pensé que seule la ‘narrative non fiction’ (le récit littéraire) avait un intérêt. Cela est un peu passé de mode », rappelle Delphine de La Panneterie. « On assiste à un retour de la littérature. La manière dont un auteur va structurer un fait divers fait gagner un pas au producteur du point de vue de la dramaturgie. La littérature demeure un terreau fertile même si l’histoire est ancrée dans le réel », explique l’éditrice.

Nouveaux canaux de diffusion

Comme le souligne Alexandra Buchman, les écrivains et les producteurs d’aujourd’hui ont été nourris à la série télé. Celle-ci fait partie de leur culture, ils partagent les mêmes références. Cette culture commune se diffuse dans l’ensemble du tissu des diffuseurs, que ce soient les chaînes traditionnelles ou les plateformes. « Mon sentiment est qu’il y a une influence des plateformes sur les recherches du linéaire », remarque Alexandra Buchman. « J’ai l’impression que les deux se nourrissent. Ainsi, on voit TF1 qui lorgne sur des programmations plus décalées et Netflix qui a tendance à faire des recherches moins identifiables comme sujets de plateformes ». L’ouverture de nouveaux canaux de diffusion fait aussi bouger les lignes. Il y a une inclinaison claire vers l’adaptation de la littérature « jeunes adultes » mais aussi le fantastique, l’anticipation ou la science-fiction, autant de genres qui demeurent encore marginaux mais apparaissent déjà comme des pistes à explorer. « Ce sont de nouvelles fenêtres qui s’ouvrent », se réjouit Alexandra Buchman. « Car ce sont des livres dont nous n’aurions pas pu vendre les droits auparavant ». « Le fantastique est un genre en explosion alors qu’il y a encore deux ans, ce n’était pas une priorité », confirme Laure Saget. Ainsi les ouvrages Ogresse d’Aylin Manço et Gorilla Girl d’Anne Schmauch, tous deux publiés en 2020 chez Sarbacane, maison spécialisée dans le « young adult » du groupe Flammarion, ont reçu des demandes d’adaptation. «La pandémie a été un accélérateur d’une évolution qui était déjà en cours et poussait les spectateurs à consommer plus d’écran», note Alexandra Buchman. Cette tendance peut-elle se poursuivre dans les années à venir ? Delphine de La Panneterie voit deux axes de développement en train de se dessiner sous l’influence des plateformes. Le premier concerne la série documentaire qui est un genre nouveau. L’écho obtenu par Grégory, la série de Netflix consacrée à l’assassinat de Grégory Villemin, ou encore le remarquable Making a murderer sur la même plateforme confirment une attraction du public pour la mise en série d’affaires criminelles. La seconde tendance touche aux séries d’animation, les animés à destination des jeunes adultes comme par exemple la superbe Arcane du studio d’animation français Fortiche dont la première saison a été proposée en novembre 2021. « L’animation a explosé en France pendant le confinement », note Delphine de La Panneterie. « Les studios de production d’animation français ont atteint une taille critique qui va leur permettre de produire ces animés. Il y a un vrai marché à prendre. Il y a aussi tout le fonds français de la SF qui possède un énorme potentiel. Il attend juste d’obtenir ses lettres de noblesse à la télévision », conclut l’éditrice.

Pierre Serisier