Manuel Alduy : "Nous aimerions soutenir deux ou trois coproductions chères par an"
Pourquoi les équipes de France Télévisions ont-elles souhaité coproduire L'Amour ouf et investir la somme historique de 6 M€ - sur un devis total de 36 M€ - ?
Depuis la fin du Covid-19, la production française a vu arriver, non pas des blockbusters, mais des méga-blockbusters à des niveaux de devis stratosphériques sur des sujets très patrimoniaux. Cela a commencé avec Les Trois Mousquetaires deux fois [36 M€, ndlr], puis Le Comte de Monte-Cristo [43 M€] cet été, Monsieur Aznavour [26 M€] et le diptyque De Gaulle [deux fois 38M€] bientôt. Tous ces films, éditorialement parlant, auraient eu leur place sur le service public, mais nous n'avons réussi à en coproduire aucun. Le niveau des devis était trop élevé et les enchères avec les chaînes privées, TF1 et M6, n'ont pas joué en notre faveur.
Donc il y a deux ans, quand L'amour ouf est arrivé sur la table, on s'est jetés dessus. D'une part, parce que le projet avait toutes les qualités intrinsèques requises : des producteurs de confiance, un scénario fantastique, un casting génial, prometteur et qui parlait aux jeunes, un réalisateur adoubé par le public. Et d'autre part, parce que nous avions loupé le coche sur les autres grosses productions françaises précédemment citées. Nous ne voulions pas laisser passer tous les blockbusters français. Au contraire, nous souhaitons aussi offrir du grand spectacle de cinéma à notre audience.
Le groupe public souhaite-t-il coproduire davantage de blockbusters français dans les années à venir ?
Une fois de temps en temps, pas plus. Nous aimerions soutenir deux ou trois coproductions chères par an, c'est-à-dire en investissant jusqu'à plus de 3 M€. Nous devons parler à tous les publics et soutenir toute la diversité du cinéma français, des petits films à ceux à gros budget. C'est une de nos missions principales. Nous ne pouvons pas nous contenter de coproduire uniquement des oeuvres cinéphiles qui s'adressent à un public de niche, ni laisser les blockbusters à l'industrie américaine. Mais notre enveloppe n'est pas extensible. Nous investissons 80 M€ par an dans le cinéma français, dont 65 M€ en préfinancement, des montants qui ne sont pas près d'augmenter dans les prochains mois, mais à côté de cela, nous nous sommes engagés en mai dernier, dans notre nouvel accord avec la profession, à coproduire un minimum de 60 films par an. En cela, L'Amour ouf et nos 6 M€ étaient une exception.
Va-t-on assister, selon vous, à un retour des superproductions françaises sur le grand écran ?
Je ne pense pas que l'avenir soit aux blockbusters français coûteux. Peut-être à court terme, dans les 12 mois à venir. Il y a aujourd'hui une course au gigantisme dans le cinéma et l'audiovisuel. Les plateformes ont besoin de films très castés et spectaculaires pour séduire le public français. De plus, l'industrie a manqué de grands films américains depuis la crise à Hollywood, ce qui laisse une place inédite pour le cinéma français. Mais ce sont des facteurs conjoncturels. Je ne pense pas que cette tendance soit pérenne. Le cinéma étant ce qu'il est, il va nécessairement produire des échecs en salles, qui vont ensuite refroidir certaines ardeurs. À l'instar des gros biopics, qui vont bientôt commencer à s'essouffler. Je ne suis pas devin, mais l'avenir est selon moi à la diversité. Il en faut pour tous les goûts. C'est ce qui fait l'équilibre du marché français. D'ailleurs, même si on sait que le cinéma se rentabilise sur la durée et qu'on ne peut pas faire le bilan d'un film uniquement sur sa sortie en salles, il faut avoir bien conscience que plus on fait un long métrage cher, plus les enjeux économiques à court, moyen et long termes sont importants.








